Le jeune journaliste Oubeidillah Mchangama est encore une fois mis en prison après une garde à vue qui a duré quatre jours. Il est accusé d’avoir manifesté et d’avoir provoqué un trouble à l’ordre public. Sur les 16 personnes arrêtées à l’issue de cette manifestation, il est le seul à demeurer en prison, alors qu’il devait se marier ce vendredi. Par Ali Mbae
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Samedi dernier, la capitale des Comores, Moroni, ainsi que le régime en place ont tremblé. Des femmes qui s’identifient comme opposantes ont envahi les rues de Moroni après un grand rassemblement qu’elles ont tenu à l’hôtel Coelacanthe. Durant une quarantaine de minutes, elles traverseront les routes menant de cet hôtel vers le marché de VoloVolo et le quartier Magoudjou jusqu’à la Place de l’Indépendance avant d’être dispersées et arrêtées, pour certaines, par le Peloton d’Intervention de la Gendarmerie Nationale (PIGN).
Treize d’entre elles, deux de leurs chauffeurs et le journaliste Oubeidillah Mchangama ont été arrêtés et maintenus en garde à vue pendant quatre jours (délai de garde à vue largement dépassé) avant d’être déférés au parquet de Moroni mardi dernier. À l’exception du reporter qui est maintenu en garde à vue, alors qu’on leur reprochait les mêmes faits, ils ont tous été relaxés et passeront en audience ce samedi.
Manifester est un droit constitutionnel
Il n’y a que dans les pays où règne la dictature qu’il faut chercher des autorisations pour manifester. C’est un droit constitutionnel, même si ce n’est pas le propre du régime actuel à Moroni de respecter la constitution. Le constitutionnaliste Mohamed Rafsandjani n’a pas tardé à réagir sur son mur facebook après l’annonce des arrestations des manifestants : « La liberté de manifester ne requiert aucune autorisation. C’est une liberté basée sur le régime de la déclaration. Pour manifester, il faut juste, mais nécessairement, déclarer que l’on va se réunir et non pas demander une autorisation à qui que ce soit. Donc déclarez vos manifestations et ensuite exercez votre liberté sans attendre l’assentiment d’aucune « autorité » qu’elle soit ».
Mais combien de fois les pouvoirs publics ont refusé à diverses organisations le droit de se réunir ou de manifester ? Seules les manifestations des soutiens du gouvernement ont été autorisées. Les autres manifestations sont non seulement refusées par l’autorité publique mais pire encore : des dispositifs des forces de l’ordre sont mis en place pour les empêcher par la force, si nécessaire.
Que réclament ces manifestantes ?
Avant de défiler dans les rues de Moroni, les femmes ont tenu un grand rassemblement au restaurant Le Coelacanthe pour présenter, encore une fois, leurs doléances. C’est d’ailleurs la première fois qu’une réunion de femmes a pu rassembler plus de 200 personnes venues des quatre coins des Comores: « Yeka nkuhu ndume katsi, nkuhu nce ye huyiha [ En l’absence du coq, la poule chante] » a d’abord souligné Mama Barouf venue de la région de Dimani-Oichil, en faisant allusion aux hommes politiques enfermés depuis « le coup d’État électoral du 24 mars dernier », cette femme a voulu montrer qu’il n’est pas le propre de tel ou tel sexe de combattre un « régime dictatorial » : « Nous sommes tous concernés. La dictature est installée dans ce pays depuis plus de deux ans. Nos enfants sont tous renvoyés. Ils traînent dans les places publiques. On a cru que ça allait changer avec les élections du 24 mars en choisissant une autre personne à la tête de notre pays mais hélas ! il a volé ces élections. Donc, il nous faut des nouvelles élections. Il doit partir parce qu’il n’a pas été élu », a-t-elle déclaré sous les applaudissements de la foule. Avant de céder le micro à une autre femme d’une soixantaine d’années : « Pars ! Nous ne voulons plus de toi. Il dit qu’il veut éliminer le chômage bien qu’au-delà des limogeages devenus monnaie courante, des entreprises comme celles de la pêche sont fermées juste parce que ce n’est pas lui l’initiateur. Je vous rassure qu’il a perdu la direction. Comment un soi-disant président peut mobiliser tout son gouvernement pour inaugurer une voirie d’un quartier ? », s’interroge-t-elle.
La marche pacifique a fini par une dispersion de la gendarmerie. « Ces mamans » ont marché jusqu’à la place de l’indépendance sans l’intervention des forces censées maintenir l’ordre. Après la lecture des versets coraniques, la gendarmerie a fait une descente violente, musclée et armée. Certaines ont été appréhendées et emprisonnées.
Emprisonnement d’Oubeid, la loi à deux poids de mesures
Après 4 jours de garde à vue, ils ont tous été déférés au parquet. Mais, à la grande surprise, seul le journaliste a été placé en mandat de dépôt. Pourtant, ils ont tous les mêmes charges. Cela n’a pu laisser indifférents les journalistes qui ont organisé des sit-in devant le portail de la prison et saisi Ahmed Jaffar qui avait l’intérim du chef de l’État. Ils ont demandé que leur collègue qui avait prévu de se marier ce vendredi puisse être libéré mais cela n’a pu se faire malgré les promesses d’Ahmed Jaffar qui est aussi le ministre en charge de la presse. Il avait affirmé aux journalistes : « Il sera déféré ce jeudi ».
Où est la CNDHL ?
« Des fois, il est préférable de se taire que de parler pour ne rien dire », « Sans queue ni tête, qu’est ce qu’on doit retenir ? quand on confond complaisance et indépendance ». Les réactions des internautes après la publication jeudi d’un communiqué de la Commission nationale des Droits de l’Homme et des Libertés sont nombreuses et sévères à l’égard de la CNDHL. La présidente de cette institution fait un constat des événements qui se sont déroulés dans le pays ces dernières mois, mais ne fait aucune dénonciation claire du non-respect des Droits de l’Homme qui est pourtant devenu monnaie courante. Pire, elle affirme que ceux qui manifestent doivent demander une autorisation aux autorités alors que tous les juristes affirment depuis plusieurs mois que la Constitution exige juste une déclaration.
Qu’est ce qui se cache derrière cette arrestation
Il n’est un secret pour peronne. Le duo Agwa et Oubeillah Mchangama gardent l’audience la plus élevée dans les réseaux sociaux. Ils ont la page Facebook la plus suivie par les Comoriens. C’est le duo qui peut obtenir 2000 personnes en faisant un direct. Cette audience dérange. Au sein du gouvernement certain ne le cache pas. Certains l’avouent : « Lui et Agwa sont beaucoup plus suivis par la diaspora. Pourtant cette diaspora en majorité nous oppose ». Avec le lancement par Agwa d’un mouvement avec la jeunesse qui se bat pour un État de droit aux Comores, le régime veut à tout prix fragiliser leur voix.
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