La présomption d’innocence signifie qu’un individu, même suspecté d’une infraction, ne peut être considéré comme coupable avant d’en avoir été jugé tel par une juridiction. En effet, suivant cette définition, on peut dire que la culpabilité d’une personne ne peut être déclarée que par un juge. Par Mounawar Ibrahim, juriste.
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L’opinion, les médias, encore moins les politiques, ne peuvent se constituer tribunal pour juger un être humain quel que soit le fait qu’on lui reproche. C’est d’ailleurs dans cette logique que la vindicte populaire est interdite par la loi. Un individu arrêté dans la rue pour vol bénéficie lui aussi de la présomption d’innocence. Il a donc le droit d’être présenté devant une juridiction. Il en est de même pour celui accusé de pédophilie ou même d’homicide. En outre, la présomption d’innocence a été théorisée pour une finalité bien définie : laisser à l’accusation, le ministère public, la responsabilité d’apporter les preuves de la culpabilité du prévenu. En d’autres termes, elle attribue la charge de la preuve au ministère public. Ainsi, le juge, lui, doit partir du principe que la personne présentée devant lui est innocente pour accroître la probabilité d’un procès équitable. Contrairement au cas d’une présomption de culpabilité qui entache directement l’équité du jugement.
Un principe oublié dans les textes de loi
Aux Comores, aucun texte de droit ne fait explicitement référence à la présomption d’innocence. La Constitution, celle de 2018, présentée par les juristes du pouvoir comme une version améliorée de l’ancienne, n’a rien dit sur le sujet. Les textes ordinaires ne font aucunement mention de ce principe pourtant fondamental. Comment expliquer une omission aussi déconcertante de cette règle dans la législation comorienne ?
Eu égard aux engagements internationaux et le préambule de la Constitution, il parait quelque peu troublant que la présomption d’innocence soit oubliée par le droit comorien.
De la législation internationale
Trois textes internationaux majeurs en parlent. La Déclaration universelle des droits de l’homme à laquelle l’Union des Comores est liée dispose dans l’alinéa premier de son Article 11 : « Toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées ».
Le pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) dispose lui aussi dans l’alinéa 2 de son article 14 que : « Toute personne accusée d’une infraction pénale est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ».
La charte africaine des droits de l’homme et des peuples n’est pas non plus restée silencieuse sur la question. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend : le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et garantis par les conventions, les lois, règlements et coutumes en vigueur; le droit à la présomption d’innocence, jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie par une juridiction compétente » (article 7).
Le droit international, à travers ses dispositions relatives à l’innocence présumée pour toute personne mise en cause, ne laisse aucune place à la confusion vis-à-vis de l’équité judiciaire pour tous.
De lourds soupçons
La Loi N°13-015/AU du 26 décembre 2013 complétant certaines dispositions de la loi N°08-018/AU du 25 juillet 2008 relative à la Transparence des Activités, publiques, économiques, financières et sociales, non seulement ne tient pas compte de la présomption d’innocence, mais elle semble même l’enterrer.
En effet, à travers ses dispositions, on réalise que le bénéfice du doute n’a pas été accordé aux personnes sur qui « pèsent de lourds soupçons de corruption ». Mais qui décide que de lourds soupçons pèsent sur une personne ? Cette approche est déjà biaisée dès le départ. Une grande brèche à tous les excès est ouverte par ces termes. Analysons ensemble quelques-uns des articles de cette loi dite anti-corruption. L’article 14 dispose : « En matière d’enquête et d’informations relatives aux infractions prévues par la présente loi, le commissaire général ou son adjoint(…) peut prolongé (sic) le délai de la garde à vue à 8 jours ; effectuer des visites domiciliaires chez les personnes sur qui pèsent des soupçons, aux heures légales ; organiser la surveillance à l’endroit de toute personne sur qui pèsent de lourds soupçons ; la surveillance électronique est par ailleurs permise ; réaliser des livraisons surveillées ; réaliser des infiltrations ; bénéficier de la levée du secret bancaire (….) ».
Certains diront que toutes ces mesures sont préconisées uniquement pour les besoins de l’enquête. Mais cette grandissime mobilisation ne laisse présager ne serait-ce qu’une once d’innocence sur la personne mise en cause. Quand on autorise le recours à la grosse artillerie, c’est qu’on a un a priori de culpabilité.
L’article 19 de cette loi confirme nos dires : « Pour les infractions visées par la présente loi, la détention préventive des inculpés sera obligatoire et toute demande de mise en liberté irrecevable ».
Un principe qui garantit les droits humains
Rappelons que l’inculpation n’est pas synonyme de culpabilité. L’inculpé étant la personne contre laquelle il existe de sérieux indices de culpabilité, bénéficie toujours et encore de la présomption d’innocence. Ceci dit, pour faire court, la loi anti-corruption datant de 2013, pour calmer les ardeurs des juristes actuels n’a pas manqué de mépriser le droit international en général, les droits humains en particulier. Nul ne peut parler de Droits de l’homme sans évoquer la présomption d’innocence. Il serait ainsi judicieux, au regard des points soulevés dans cet article, que le législateur comorien revisite ses textes. D’une part, il faudrait revoir les dispositions de la loi anti-corruption pour mieux l’encadrer ; d’autre part, inscrire noir sur blanc, le principe de la présomption d’innocence dans le droit comorien. Surtout dans la procédure pénale pour commencer. Une telle initiative serait un pas vers le respect effectif de nos engagements internationaux en matière de droit de l’homme.
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