Masiwa – Ali Zamir, d’où vous viennent ces idées loufoques des récits que font vos personnages avant la mort ?
Ali Zamir – Quand je tiens entre les doigts ma plume, c’est comme si, affamé jusqu’aux yeux, je tenais une cuillère et me contentais uniquement de me nourrir sans chercher à comprendre comment je me nourris ou d’où me venait la nourriture. Je veux dire par-là que les idées viennent au moment même où elles sont accouchées sur le papier : un moment de rêve et de liberté.[ihc-hide-content ihc_mb_type=”show” ihc_mb_who=”2,3,4,5,6,9″ ihc_mb_template=”1″ ]
Comment est-ce que je peux savoir avec exactitude leurs origines ? Tenter de trouver une réponse juste à cette question serait me trahir moi-même, sachant que maintenant je ne suis pas dans le même état que quand je rêvais en écrivant un roman. Ici j’essaie de répondre à votre question sans rêver. C’est tout à fait autre chose : je n’ai donc pas cette liberté.
Masiwa – Pourquoi faites-vous des récits toujours à la première personne ?
Ali Zamir – Toute la force et la grandeur de l’humain s’affirment à partir du « je ». Que ce soit un « je » homodiégétique (NDLR : Le « Je » qui raconte est un personnage de l’histoire) ou hétérodiégétique (NDLR : Le « Je »i qui raconte n’est pas présent dans l’histoire). C’est un pronom garant, plein de force, un pronom qui assume non seulement ses responsabilités, mais aussi sa fragilité et qui fait convenablement appel aux sentiments, aux pensées et aux émotions, c’est-à-dire le propre de l’Homme : les valeurs humaines y demeurent donc primordiales. Le lecteur s’introduit facilement dans la vie du narrateur qui se dévoile à lui. Et là, c’est toute la fonction irremplaçable de la littérature qui s’affirme : permettre le devenir de l’être humain. Voilà pourquoi je le préfère à d’autres pronoms.
Masiwa – Pourquoi vos personnages donnent toujours l’impression d’être des doctorants à la Sorbonne ? Avec des expressions de la France profonde ou même des locutions latines ? Ce n’est pas étrange dans la bouche de Comoriens, même dockers qui n’ont jamais quitté Mutsamudu ?
Ali Zamir – Mes personnages ne donnent pas l’impression d’être des doctorants, mais peut-être que certains lecteurs se voient à la Sorbonne quand ils me lisent ! Je n’y peux rien. J’aimerais juste souligner une chose très importante : on n’est pas dans le Réalisme de Flaubert ni dans le Naturalisme de Zola où il était question de peindre avec exactitude ce qu’on voyait dans la société. La littérature n’est pas une science expérimentale, inutile de lui chercher uniquement et toujours des éléments objectifs liés à la réalité. On est dans une œuvre de fiction, donc de personnages d’encre et de papier. Une fois la lecture finie tout disparaît, sauf dans votre tête.
À propos de ces « expressions de la France profonde », combien de Français m’ont posé la question sur cette langue qu’ils découvrent pour la première fois ! Pour ne pas se perdre, il faut juste savoir une chose sur mes textes : ils appartiennent à une langue qui brave les frontières et qui appartient à tout le monde. La capitale actuelle de la langue française n’est plus Paris, mais Kinshasa. Évitons de voir les choses par rapport à un pays, une ville ou une époque. Évitons encore une fois de chercher à réduire le français à un pays ou une classe sociale dans une fiction. C’est une erreur. Je prône une littérature universelle, d’où mon plaisir à faire vivre cette langue qui n’appartient à la fois à personne et tout le monde. Avec moi, ce n’est pas étrange de retrouver cette langue dans la bouche d’un personnage à n’importe, quel que soit ses origines et la situation : un roman, c’est un espace de liberté. Et si j’ai choisi comme décor les Comores, mes personnages s’adressent à tout le monde, pas uniquement aux Comoriens.
Masiwa – Quels aspects de l’histoire ou de votre vie vous inspirent pour vos romans ?
Ali Zamir – Je ne peux pas le savoir avec exactitude puisqu’on n’est pas dans un roman individualiste, réaliste, bourgeois… C’est donc le travail d’un critique littéraire de dire s’il y a quelque chose qui est en rapport avec ma vie ou non. Je rêve quand j’écris. Par contre on peut facilement déceler des éléments en rapport avec la société comorienne. C’est pour cela qu’on a aujourd’hui ce qu’on appelle la critique sociologique ou bien la sociocritique : c’est une critique qui consiste à voir comment le texte peut représenter la société dans laquelle l’auteur est né.
Masiwa – Quels sont vos prochains projets ?
Ali Zamir – Comme toujours, je suis en train d’écrire : l’écriture est pour moi la seule manière de prouver que j’existe. Quand je n’écris pas, je me sens étouffé, c’est horrible !
Masiwa – Que lisiez-vous dans votre enfance ou adolescence ? et aujourd’hui lisez-vous encore ?
Ali Zamir – Enfant, j’ai lu « Le Cid » de Corneille, le « Bourgeois Gentilhomme » de Molière, « Eugénie Grandet » de Balzac , « Madame Bovary » de Flaubert, « Les Trois Mousquetaires » d’Alexandre Dumas, « Notre-Dame de Paris » de Victor Hugo, les «Chants d’ombre » de Senghor, « Une journée d’Ivan Donissovitch » d’Alexandre Soljenitsyne, « Sous le soleil de Satan » de Georges Bernanos, « Bonjour Tristesse » de Françoise Sagan… Et tant d’autres ouvrages qui traitaient des sujets qui n’étaient même pas de mon niveau, puisque je venais d’entamer le collège. L’essentiel pour moi était de lire. Jusqu’à ce que j’arrive au lycée et que je découvre Albert Camus, Jean-Paul Sartre, Jean Anouilh, Cheikh Hamidou Kane, etc. Aujourd’hui je lis Kafka, Michel Butor, Rainer Maria Rilke, Jean-Marie Gustave Le Clézio, Ananda Devi et d’autres contemporains. J’ai lu presque toute l’œuvre d’Alain Mabanckou par exemple, depuis son premier roman « Bleu-Blanc-Rouge » paru en 1998, jusqu’au dernier « Les Cigognes sont immortelles » publié l’année dernière.
Masiwa – Quelle est votre vie en France ? Que faites-vous là-bas ?
Ali Zamir – À part mon métier d’écrivain, qui est le plus important pour moi, je travaille comme médiathécaire dans le réseau des médiathèques de Montpellier Méditerranée Métropole. J’y travaille quand je ne fais pas de rencontres littéraires dans les salons, festivals ou librairies. Vous n’êtes pas sans savoir qu’il est difficile pour un artiste de vivre uniquement de son art. J’ai vécu uniquement de ma plume pendant deux ans, Dieu merci, chose qui est très rare. Mais maintenant je me suis engagé à faire aussi autre chose en plus de l’écriture. Le métier de médiathécaire est un métier noble qui me rapproche encore plus du monde du livre.
Masiwa – Quand vos lecteurs auront-ils le plaisir de vous rencontrer dans l’archipel ?
Ali Zamir – Très prochainement. Je l’espère de tout cœur.
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Propos recueillis par Mahmoud Ibrahime