Le MOLINACO, crée en 1963 à Dar Es Salam par des intellectuels issus de l’émigration comorienne fut la première formation politique à avoir réclamé ouvertement l’indépendance des Comores. Considéré comme un mouvement « subversif », le Molinaco sera immédiatement interdit dans l’archipel des Comores. Néanmoins, cette organisation qui avait à sa tête Abdou Bakari Boina a joué un rôle très important dans l’évolution politique de l’archipel de 1963 à 1975. Par Faïssoili Abdou
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Jusque là, le territoire des Comores donnait l’impression d’être insensible et distant aux courants d’émancipation qui agitaient alors les dépendances de la vieille Europe. Appelés à choisir, en 1958, entre les trois options offertes par la métropole aux territoires d’outre-mer (le statu quo, le statut de Département d’outre-mer ou celle d’État membre de la Communauté), les élus comoriens optèrent pour le statu quo qui les maintenait dans la dépendance étroite de la métropole.L’Assemblée territoriale décida que l’archipel devait garder son statut de territoire d’outre-mer. Des facteurs, économiques et politiques notamment, semblent avoir dicté ce choix. Les Comores passaient alors pour être le plus sous-développé des territoires français et les élus espéraient qu’en maintenant l’archipel dans le joug français, ils allaient bénéficier de plus d’aides de la part de la France.Ce qui ne fut malheureusement pas le cas.
En cedébut des années 1960, le paysage politique de l’archipel des Comores est dominé par deux partis traditionnels. Il y a, d’un côté, les “Verts“, essentiellement des fonctionnaires, qui ont comme leader le médecin Saïd Mohamed Cheikh qui fut le premier député représentant de l’archipel des Comores à l’Assemblée nationale française et président du Conseil de gouvernement de 1961 à sa mort en 1970. De l’autre, les “Blancs“, autour du Prince Saïd Ibrahim, particulièrement, des gros commerçants. Les différentes élections qui se déroulent alors dans l’archipel dans cette période se résumaient ainsi à un duel entre “Verts” et “Blancs“.
Les élus de l’archipel semblent alors s’accommoder du statu quo politique. Ils donnent l’impression de se satisfaire du statut d’autonomie interne octroyé en 1962 et élargie en 1968. Tout juste, réclament-ils des arrangements institutionnels et une augmentation budgétaire auprès de Paris pour permettre à l’État comorien d’être viable. Ainsi, le prince Saïd Ibrahim, alors président de la chambre des députés déclarait en octobre 1967 : « Nous devons reconnaître que dans l’état actuel des choses notre intérêt est de rester encore dans le cadre des institutions de la République française ».
Cette lente et paisible progression vers la modernité est brusquement interrompue, à partir de 1963, par un dynamisme juvénile contestataire, tant de l’ordre colonial que de l’ordre comorien traditionnel. La création du Molinaco avec comme slogan politique « Mkolo Nalawe= les colons dehors» va tout chambouler.
C’est à la troisième Conférence de Solidarité des peuples afro-asiatiques qui s’est tenue en avril 1963 à Moshi (Tanganyika) que le Molinaco s’est signalé pour la première fois. Le Mouvement était représenté à cette rencontre par Ali Mohamed Chami, son vice-président, et Youssouf Abdoulhaliki, qui se sont exprimés sur les ondes de la Radio du Caire pour annoncer la création du Molinaco au Tanganyika. Le but du Mouvement est « de libérer les Comores du joug du colonialisme français ». L’apparition d’un tel mouvement ne pouvait qu’inquiéter les milieux colonialistes et les tenants du pouvoir local. Ceux-ci se déclarèrent très vite opposés au Molinaco. Lors d’un discours devant la chambre des députés des Comores, le président du Conseil de gouvernement, Saïd Mohamed Cheikh, s’en prend au Molinaco en déclarant ceci : « Quelques individus, incapables d’assurer leur subsistance, et celle de leurs malheureuses familles, qui rêvent de transformer notre pays en une nation forte, puissante et prospère. Ces faux idéologues n’ont aucune envergure ni aucune foi ; ce sont des ambitieux qui, chassés des pays voisins à cause de leur malhonnêteté et de leur agitation stérile, cherchent maintenant à apporter le désordre dans leur propre pays, sans autres soucis qu’un profit personnel et immédiat ». L’hostilité manifestée par les autorités locales et le pouvoir colonial envers le MOLINACO et ses revendications n’empêche pas cette organisation d’enregistrer certaines réussites sur le plan diplomatique. Le Molinacoobtient, notamment, que le comité de décolonisation de l’ONU recommande, le 25 août 1972, à l’Assemblée générale d’inclure « les Comores, territoire d’outre-mer de la République française, sur la liste des territoires auxquels la déclaration de l’ONU sur la décolonisation est applicable ». Les différents acteurs politiques et la masse comorienne finissent par se rallier au mot d’ordre d’indépendance lancé par ce mouvement au début des années 1960. Cette adhésion débouche sur la déclaration d’indépendance faite le 6 juillet 1975. En effet, les élus locaux « surfent » sur la vague de récriminations du Molinacoet cherchent à profiter de l’ébranlement du pouvoir colonial. C’est dans ce contexte que le parti « Vert » ou Union démocratique des Comores (Udc), le Rpdc et le Molinacoà travers sa branche locale le PEC (parti pour l’évolution des Comores) décident le 10 septembre 1972, de fusionner en vue d’obtenir l’ « accession de l’archipel des Comores à l’indépendance, dans l’amitié et la coopération avec la France » lors d’un congrès commun. La bourgeoisie locale reprend ainsi à son compte le mot d’ordre d’indépendance.
Le 22 décembre 1972, la chambre des députés des Comores adoptait, par 34 voix sur 39, une résolution demandant « l’indépendance dans l’amitié et la coopération avec la France ». Un article du journal le Monde expliquait, ainsi, le changement d’attitude adopté par les élus comoriens. « L’intérêt constant que manifeste le comité de décolonisation de l’ONU pour les Comores, les pressions qu’exercent au sein de l’organisation de l’unité africaine (OUA) les États progressistes qui souhaitent que cette question soit débattue, l’activité du MOLINACO , enfin, sont sans doute à l’origine d’une initiative qui, au-delà des surenchères démagogiques, souligne qu’une partie croissante de la population des Comores cède aisément à la tentation de l’indépendance » ( PhillipeDecraenne, Aux Comores, la tentation de l’indépendance (Le Monde, 16 novembre 1972)
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