La proclamation d’une indépendance est irréversible, au moins pour le pays qui a été colonisé. Le colonisateur peut la refuser, il peut engager une guerre contre le pays jadis colonisé, il peut couper des têtes, il peut se maintenir de force sur ce territoire qui lui est devenu désormais étranger, il peut étendre et construire des colonies sur le territoire, mais jamais le pays qui a recouvré la liberté, le pays qui est devenu une Nation ne redevient point une dépendance.
Ainsi, depuis cet après-midi du 6 juillet 1975 où Ahmed Abdallah Abderemane a proclamé l’indépendance de l’archipel des Comores constitué de quatre îles, la Nation comorienne est née, le peuple comorien a pris conscience de son existence en tant qu’entité à part entière. Aucunepauvreté, aucune ingérence, aucune dictature, même le summum de la corruption, ne peuvent enlever cette souveraineté. Quarante-quatre ans, c’est beaucoup, presque un demi-siècle. Quarante-quatre ans de lutte pour l’intégrité territoriale. Des coups d’Etat, des présidents assassinés, des présidents et hommes politiques morts naturellement ou de mort suspecte. Des citoyens volontairement fusillés dans leurs villes pour avoir résisté à une révolution brutale imposée à la nation naissante ; des patriotes assassinés lors d’une décennie de pouvoir mercenaire. Certains n’ont même pas eu de sépultures, aucune tombe ne matérialise leurs décès, un perpétuel travail de deuil de la part de leurs famillesrespectives.
Mais aussi des citoyens morts en mer, des milliers et des milliers à qui on a imposé, à qui on impose, un visa pour aller rendre visite à leurs familles, à nos familles habitant dans notre quatrième île encore sous administration étrangère,française.
Quarante-quatre ans, chaque année son énigme, le peuple souffre. Mensonge, démagogie, crime, assassinats, détournements de deniers publics, chaque régime son lot de responsabilités.
Un citoyen comorien né le 6 juillet 1975 a aujourd’hui quarante-quatre ans. Il pouvait être président de la République, ministre. Et pour être vraiment au service des Comoriens, pour faire de la justice, de l’équité, de l’égalité, de l’unité, de la fraternité et du développement des valeurs qui guident et qui régulent son action, il doit savoir ce qu’il s’est réellement passé dans notre pays durant la première vingtaine, dans un premier temps ( de 1975 à 1995), et la deuxième vingtaine censée corriger la première, dans un deuxième temps. Hélas !
Pourquoi Ahmed Abdallah a-t-il proclamé unilatéralement l’indépendance de notre pays, en prenant de court aussi bien l’opposition que le peuple comorien lui-même ?
Pourquoi Ali Soilihi, un patriote considéré comme exemplaire a-t-il concocté un coup d’État moins d’un mois après la proclamation de l’indépendance, quels que soient les désaccords ? Pourquoi cette révolution brutale qui a ébranlé tout un peuple au point d’applaudir la mort de Mongozi ? Ont-ils vraiment rendu service à notre pays par ces décisions politiques ?
Comment un président comorien a pu signer un contrat permettant à des mercenaires de prendre en otage son pays et son peuple durant toute une décennie ? Qu’est-ce qui s’est réellement passé à Kandani durant cette décennie ? Qui a exécuté les ordres des mercenaires ? Qui a été complice ?
Politiciens, civils et militaires encore vivants devraient élucider ces énigmes. Non pas dans le cadre d’un procès, non pas forcément pour établir des responsabilités, mais juste pour un devoir de vérité, un devoir de mémoire, qui aideraient toutes les générations à prendre la mesure de la souffrance qu’a subi ce pays, notre peuple. Dans plusieurs pays, ces vérités rétablies contribuent toujours à éviter les mêmes erreurs, une sorte de ligne rouge dans la consciencecollective.
Oui, ce travail n’ayant jamais été fait, dans ce silence collectif complice Bob Denard est revenu déloger Djohar, un président élu par le peuple comorien. Qui a été à l’origine de cette humiliation nationale ?
Oui, en continuant de compter simplement les régimes et la succession des présidents, sans un questionnement de fond, en continuant dans ce déni politique, le président le plus démocratiquement élu aux Comores est mort après deux ans de mandats dans des circonstances très étranges, quelques heures après un retour de voyage à l’étranger. Qui a vu Mohamed Taki Abdoulkarim en dernier avant son entrée dans l’avion ? Qui avait le protocole de son voyage?
Pourquoi un président de la République mort subitement est-il enterré précipitamment comme quelqu’un qui est mort de la peste ? Les énigmes. Journaliste politique, il est temps de demander à ceux qui sont vivants de nous dire ce qu’ils savent, de nous dire ce qu’ils ont vu. Said Hassane Said Hachim, Mouzaoir Abdallah, Salim Himidi, Said Hilali, s’il vous plaît journalistes politiques, chercheurs, universitaires, allez voir nos anciens pour nous dire ce qu’ils savent. Recoupons leurs témoignages, et rétablissons la vérité. Ce qui nous permettra d’avancer. Et Komno ? Fessoil, Nasser, et Salim ? Ndizomgwandzao ? Si l’indépendance était ça, personne n’aurait applaudi le 5 juillet 1975. Et parce que l’indépendance n’est pas ça, nous continuerons de fêter le 6 juillet pour notre Nation.
Morts ou vivants, il y en a en tout cas qui ont « les mains sales ». Nous avons juste besoin de comprendre ces énigmes.
Salim Youssouf Idjabou