La disparition soudaine du chanteur Bourguiba Hamadi a touché les cœurs de beaucoup de Comoriens qui ont exprimé leur douleur dans les réseaux sociaux.
Par Mounawar Ibrahim
Un géant de la chanson comorienne nous a quittés subitement cette semaine en France, mort d’une crise cardiaque. Né à Bandamadji dans l’Istandra, Bourguiba Hamadi a conquis le paysage culturel des Comores depuis deux décennies. Il a sorti son premier disque en 2003 et depuis, il a su imposer son nom dans le milieu.
Pour celles et ceux qui ne connaissent pas son œuvre, retenez qu’avec lui, on avait l’impression que chanter est si facile et que tout le monde pouvait le faire. Il avait la fibre musicale, le rythme et l’inspiration.
Je l’ai découvert adolescent, avec son titre « Rohoni » qui a produit l’effet d’une déflagration d’amour en moi. Je me suis senti amoureux. De personne à l’époque, si ce n’est de l’amour lui-même. Je n’ai jamais quitté depuis la fan-base de l’artiste. Il est aussi l’auteur des classiques « My Love » et « Ndola ». Ce dernier revêtait une signification particulière pour les jeunes qui aspiraient au mariage d’amour. « Le mariage, ce n’est pas l’abondance matérielle, plutôt celle de l’amour. Le mariage vient de l’amour et non de l’argent ». On dédiait ce chant aux familles qui conditionnaient le mariage de leurs filles à l’opulence du prétendant. Un phénomène très présent dans la société comorienne.
Dans les années 2010, ce diplômé de l’Université des Comores s’est lancé dans un autre registre. Cette fois, pas une ode à l’amour comme il savait bien le faire, mais un hymne à l’entrepreneuriat. Le titre « Hazi » est une réussite absolue. Le fond et la forme sont d’une qualité rare sur la scène musicale comorienne. Tu peux l’écouter non-stop et suivre en même temps les propos destinés à te faire réfléchir sur la valeur Travail. On m’a souvent dit que l’OIT (Organisation Internationale du Travail) en a aussi fait son hymne aux Comores.
Dans cette chanson mythique, sûrement la plus aboutie de sa carrière, l’artiste s’est adressé aux jeunes diplômés : « Jeune qui a fait des études, ne reste pas là à attendre l’État ; essaie d’entreprendre, de créer de l’emploi pour montrer tes capacités ». Il a également adressé un message à la diaspora comorienne à l’étranger, principalement celle de France : « Vous qui êtes ailleurs pour travailler, ne pensez pas seulement au grand mariage, pensez aussi à venir créer de l’emploi. C’est la seule arme pour lutter contre la pauvreté dans ce pays que nous aimons ».
À première vue, ces paroles paraissent banales, mais il faut écouter la chanson, un mélange de douceur et d’harmonie qui nous plonge inévitablement dans une autre dimension. Je ne savais pas qu’une chanson prônant le travail et la création d’emploi pouvait produire autant de plaisir chez l’auditeur.
La nouvelle de la mort de Bourguiba Hamadi a suscité moult réactions au sein de la communauté comorienne. Les internautes ont unanimement salué l’œuvre de l’artiste. Cependant, un point de discorde s’est invité dans cette pluie d’hommages que les Comoriens continuent à lui rendre : doit-on publier sa musique ? Pour certains, non car cela ne lui profitera pas dans l’au-delà. Pendant que pour d’autres, publier ses chansons c’est perpétuer sa mémoire. Je ne suis un spécialiste religieux, mais pour moi, cette question existentielle revenant dès qu’un artiste meurt n’a pas lieu d’être posée. Une personne sera jugée pour les actions qu’elle a faites sur terre. Et il est difficile de penser que des chansons qui n’avaient rien d’offensant, mais qui prônaient l’amour et le travail vaudront la damnation à leur auteur.