Salec Halidi Abderemane, poète et doctorant est de passage à Moroni pour ses recherches universitaires. Ancien collaborateur de Masiwa, il s’est livré sur son recueil de poèmes « La Liane dénudée de ses racines » aux éditions 4 Étoiles.
Masiwa – Dans « La liane dénudée de ses racines », vous avez souvent recours à la personnification de la liane. Pourquoi vous avez choisi cette plante ?
Propos recueillis par Hachim Mohamed
Salec Halidi Abderemane – Le choix de la liane est fait pour son caractère grimpant. Elle est dite herbacée, voire ligneuse. Sa particularité souple pour vivre ou survivre sur d’autres végétaux crée l’image d’un groupe d’individus poussé à supporter ou à se supporter sur un autre groupe d’individus pour prétendre s’aligner sur eux dans le bénéfice d’une meilleure reconnaissance ou au mieux une meilleure existence. Ce que je qualifie de leurre puisque cela rime avec un complexe d’infériorité des uns et de supériorités pour les autres, voire une névrose comme dirait Franz Fanon. Ces complexités presque maladives sont traduites dans les traumatismes provoqués par le rejet, le mépris et l’isolement qui sont à l’origine des histoires coloniales, modernes et contemporaines de l’archipel.
Masiwa – Plusieurs fois au cours du recueil et sur la base d’une métaphore végétale, le poète se fond avec la nature. Pourquoi cette omniprésence de la nature ?
Salec Halidi Abderemane – Le peuplement de l’archipel à plusieurs origines, mais deux émergent dans la complexité de cette histoire. Ce qui est sûr un peuple bantou venu du continent africain semble être l’origine de cet archipel. Il fut une civilisation de bois et de forêts domptant les montagnes, les collines, les ruisseaux, les rivières, mais aussi les côtes. Il avait ses secrets lui permettant de vivre en harmonie. Mais dans l’élan de son histoire, un autre peuple venu d’Orient apportant une autre civilisation. Différente, plus urbaine et éloignée de celle déjà existante. Il pratique la chaux et dompte la mer. Il s’approprie la forêt sans pour autant connaitre les valeurs du premier peuple. Il se déclare alors arbuste et oblige le premier peuple à abandonner ses secrets.
Masiwa – Pouvez-vous expliquer ce volet sublunaire ?
Salec Halidi Abderemane – C’est depuis que la liane, premier peuple de l’archipel, est obligée de supporter ou se supporter de cet arbuste en grimpant sur lui pour une meilleure reconnaissance, encore au mieux une meilleure existence. L’inspiration donnant cette lancée poétique est née dans le discours d’Aimé Césaire évoquant un peuple ayant eu ses dieux, ses croyances et ses manières de vivre, mais arraché à ces derniers d’où son malaise et son mal-être. Mais également dans la double peine que démontre Albert Memmi montrant la complexité chez ces genres d’individus, « la liane et l’arbuste », dans la latitude du recueil lorsque les deux se trouvent dénudés de leurs racines. Ils se recherchent sans se retrouver, quelque chose qui a encore cours dans notre archipel.
Masiwa – Que représente dans l’imaginaire du poète ce Prince thrace, poète, musicien et chanteur qui charmait même les bêtes par son art ?
Salec Halidi Abderemane – J’étais et je suis toujours ému de l’analyse du philosophe J. P. Sartre sur l’« Anthologie de la poésie noire et malgache » dirigée par L.P. Senghor. Cette idée de greffer un mythe gréco-romaine dans la sensibilité noire. Ici, j’appelle à plus de sensibilité de la part des jeunes poètes de l’archipel pour qu’ils comprennent l’importance de la poésie lorsqu’elle est écrite pour sensibiliser sur une cause, surtout appelant à nous unir. J’évoque ce qui fait nostalgie commune, mais surtout ce qui fait cause commune. Ce désir vient se compléter dans la profondeur du texte d’Achille Mbembe qui appelle à sortir de la « grande nuit » qui nous envahit. Les mécanismes de défense qui s’expriment chez nous par le rejet, le mépris et l’isolement, issus des colonisations et aux envies de faire perpétuer des valeurs anciennes et destructrices de notre unité. Sartre a su comprendre chaque poète de cette anthologie en traduisant en lui une même cause poussant à intituler cette dernière de « Orphée noir », une « trouvaille » pour le philosophe. Je recherche cette « trouvaille » dans la poésie des autres…
Masiwa- Justement pour rester sur ce registre de la mythologie, qui est ce personnage de Mwanaïssa ?
Salec Halidi Abderemane – Le Mwanaïssa c’est un esprit tourmenté comme le Djin.
Il fait partie de la nostalgie endeuillée du premier peuple de l’archipel. Contrairement au Djin évoqué dans le Coran, c’est-à-dire amené par le peuple d’Orient, transporteur de l’Islam dans l’archipel. Le Mwanaïssa n’est pas un transgresseur mystique, ni une dévotion mythique, ni une ruse encore moins de l’inculture, il s’agit d’originalité d’un peuple. Comprendre son sens permet d’identifier ce peuple dont le Djin vient lui prendre sa place historique. Le djinn est plutôt le mythe de l’histoire… Et il est encore… !
Masiwa – Pourquoi ce côté à la fois dantesque et idyllique dans la personnification de la plante ?
Salec Halidi Abderemane – C’est parce que la Liane est devenue une névrosée. Mais elle n’est pas naïve. Elle pleure comme elle se retient. Le xérophile et l’ombrophile évoquent son caractère essuyant les rejet, mépris et isolement, elle change et s’adapte aux situations. Mais elle reste poétiquement sensible, mais parfois funeste, car elle s’isole et oublie qu’elle est bantoue. Elle a du mal à se connaitre puisqu’on lui a enlevé son histoire. J’essaie dans cette poésie de lui rendre son histoire pour qu’elle n’ait plus à s’aliéner.
Masiwa – Quel est l’enjeu magnifiant les pouvoirs exceptionnels de la liane ?
Salec Halidi Abderemane – Malgré ce qu’elle subit comme rejet, mépris et isolement, la liane garde plus au moins son allure. Elle danse dans les mariages et pleure dans ses deuils. Le plus souvent elle meurt et renaît lorsqu’elle cherche à ce que l’arbuste vienne danser et pleurer avec elle. Elle pense que son existence n’est pas meilleure, ce qui n’est pas le cas. Pourtant, elle est poète cette liane, elle a beaucoup plus de sensibilité qu’elle se pense.