Mouslim Ahamada est tombé sous les balles des forces de l’ordre, en présence de ses frères de combat. La tête explosée par un tir de kalachnikov. Il n’avait que 21 ans. L’âge moyen des jeunes descendus dans les rues comoriennes devenues le théâtre d’un ras-le-bol généralisé contre l’arbitraire, l’injustice sociale et la confiscation des droits et libertés les plus élémentaires, comme celle de pouvoir élire librement ses dirigeants. Mouslim Ahmed rejoint ce 18 janvier 2024, la liste des victimes d’un régime clanique qui a transformé l’État comorien en un club de jouisseurs contre toute règle institutionnelle et toute éthique politique et morale.
Par Kamal’Eddine Saindou
Le jeune martyr Mouslim n’a pas échappé à l’appel de son Créateur. On le souligne d’emblée pour faire taire les moralisateurs qui voudraient lui reprocher d’être le sacrifié d’intérêts partisans et pour leur rappeler la mémoire de ceux qui sont tombés avant lui par les balles de l’armée, et dont Mouslim ne fait que rallonger malheureusement la liste macabre. L’avertissement concerne ceux aussi qui ont perdu toute sensibilité à la souffrance du peuple et toute référence au contrat social qui fonde le commun d’un pays, en faisant le choix du péril. Qu’ils écoutent la voix de ces jeunes que la page Facebook Badjini-Actualité a filmée sur les barricades de Bambao Ya djuwu, des cagoules enfoncées sur leur visage.
« Le message de nous tous patriotes de ce pays, est que notre combat ne concerne pas un conflit de chefs ou je ne plus quoi. Nous sommes tous ici pour beaucoup de choses qui ne marchent pas et nous font mal. Nous aurons aimé tous évoluer et vivre bien comme dans beaucoup d’autres pays. Nous sommes là aujourd’hui parce qu’il est insupportable qu’un seul homme [il parle évidemment du président Azali, NDLR] traite la population comme des animaux, fasse tout ce qu’il désire, nous traite comme bon lui semble, nous réprime sans raison et déshonore les nôtres. Nous appelons ainsi toute la population à se lever solidairement pour exprimer notre refus d’une telle situation et tout le temps que ça prendra, pourvu qu’il dégage… ».
Ce discours spontané est celui d’une jeunesse consciente, qui n’en peut plus du sort que lui réserve un système politique qui ne s’est jamais préoccupé de son avenir et dont le lot quotidien est rythmé par des souffrances multiples, des brimades, du mépris qui a nourri le désespoir de pouvoir s’en sortir un jour. La colère des insurgés dépasse le contexte électoral certes tendu de ce 14 janvier, bien que celui-ci, entaché de fraudes massives orchestrées par les partisans du candidat du pouvoir a été un catalyseur, réveillant une colère longtemps enfouie, qui grondait dans les têtes, déchirait les cœurs et n’attendait que la faille pour jaillir, telle une éruption.
Une souffrance que l’arrogance des abonnés du pouvoir préoccupés uniquement par leurs intérêts particuliers et jamais assouvis ne pouvait voir derrière les vitres teintées des véhicules ni entendre par médias sous ordres. Souffrances qu’ils ne voulaient pas non plus qu’on leur rappelle, en confisquant l’espace et bâillonnant toute possibilité d’expression et en mettant au pas les institutions républicaines, symboles d’un État normal.
Le message de ces jeunes est directement adressé au régime Azali. Mais sa teneur n’exempte pas non plus tous les acteurs politiques actuels et prétendants au pouvoir qui ne portent aucune vision ni alternative promettant une véritable rupture avec l’héritage politique et institutionnelle qui a conduit le pays au marasme après un demi-siècle d’indépendance qui signifiait pour le peuple, la fin du calvaire colonial et l’amorce d’une vie meilleure ensemble.
Ce message lancé des barricades a-t-il entendu ? Cette jeunesse indignée a démontré une capacité de révolte que certains ne lui soupçonnaient plus. Sans expérience de combat et sans leaders pour les organiser, elle a été capable de tenir la rue avec les mains nues et de paralyser le pays. Elle a été dans la capitale, mais aussi dans les villages reculés, preuve de sa capacité à maîtriser tout le pays. En 72 heures, elle a fait face à des forces de l’ordre vite débordées au point d’user de leurs armes à feu contre des manifestants non armés. Qu’en sera-t-il demain si la vie reprend son cours, mais que rien n’est fait pour répondre à ce cri de détresse ? L’on s’acheminerait inévitablement vers une situation insurrectionnelle et populaire. Toute voix responsable doit méditer cela.
En attendant, le pays les Comores doit à cette jeunesse d’avoir donné une autre image que celle d’un peuple endormi dont on le qualifiait. Elle a prouvé qu’elle peut porter les couleurs nationales pour célébrer les Cœlacanthes (l’équipe comorienne de Football) et pour revendiquer ses droits. Les caméras du monde ont été témoins de leur héroïsme. Un visage marquera à jamais cette séquence, celui de Mouslim Ahamada, fauché à 21 ans, parce qu’il a fait le choix du camp du refus de la peur et de l’injustice.