Le choix du chef de l’État comorien pour présider l’Union africaine (UA) fait légitimement couler beaucoup d’encre et de salive, tant cela relève d’une première inattendue.
Par Toihir DAOUD (MDAMA). Auteur de Les Comores : Tournante et tourmente. Essai (2018)
Et le Colonel Assoumani Azali n’hésite pas à considérer que l’événement correspond à son destin personnel, lui qui fut interdit d’accès à l’organisation panafricaine du temps de l’OUA, la devancière de l’Union africaine, pour avoir pris le pouvoir par un putsch le 30 avril 1999, alors qu’il était chef d’État-major de l’Armée nationale de Développement (AND).
En tout état de cause, au moment de passer le relais, son prédécesseur à la tête de l’UA, le Président Macky Sall, se permit une plaisanterie, en parlant plutôt de « maraboutage » !
Mais, que peut-on réellement attendre de cette Présidence comorienne pour un continent africain aux multiples défis, aussi bien en termes de conflits armés que de crises alimentaires, d’infrastructures défaillantes (ce qui est un euphémisme), de dette extérieure explosive, de sous-emploi et d’une dépendance d’autant plus anachronique à l’égard de l’extérieur qu’il est particulièrement convoité pour ses richesses minières stratégiques inégalées et l’immensité de son marché, caractérisé par une forte croissance démographique.
Pour essayer d’y répondre, voici un tableau des réalités de l’Union des Comores, pays que bon nombre d’Africains ne savaient pas situer sur une carte, du moins jusqu’à la performance extraordinaire des Cœlacanthes lors de la dernière Coupe d’Afrique des Nations (CAN) au Cameroun.
Données historiques et socio-économiques
Situé dans le canal du Mozambique à mi–chemin entre Madagascar et le continent, l’Union des Comores est un archipel de quatre îles, dont l’île de Mayotte restée sous administration française, malgré l’indépendance acquise en 1975 et reconnue ainsi par l’ONU, l’UA, la Ligue des États arabes (dont elle est membre) et l’Organisation de la Conférence islamique (la population étant à plus de 98% musulmane sunnite de rite chaféite). Le peuple comorien est issu d’un brassage de populations principalement bantoues de la sous-région, indonésiennes, arabes (Yémen et Oman) et perses (Chiraz), avec une langue nationale commune apparentée au kiswahili et deux langues officielles (français et arabe).
Avec moins d’un million d’habitants sur les trois îles indépendantes, quelque 300.000 habitants à Mayotte et plus de 500.000 personnes dans la diaspora, principalement en France et dans les pays voisins (Madagascar, Tanzanie et Kenya), la population connaît une pauvreté endémique, malgré l’exportation de productions comme le girofle, la vanille et les huiles essentielles, dont celles de l’ylang-ylang pour les parfums. En retour, l’archipel importe la majeure partie de ses produits de consommation, notamment le riz, les produits carnés, les œufs et même les conserves de sardines, alors que le pays regorge d’immenses ressources halieutiques. Ironie du sort, un grand projet de pêche naguère financé par le Qatar est laissé à l’abandon par le pouvoir actuel, malgré les milliards de francs investis.
Sur le plan de la gouvernance, les données sont les suivantes pour l’année 2022.
Pour le climat des affaires (classement Doing Business), l’Union des Comores est au 160e rang sur 190 pays et au 158e rang pour la création d’emplois.
Pour la corruption (classement Transparency International), l’Union des Comores est à la 164e place sur 180, avec une note de 20/100. Comparativement, des États insulaires voisins, les Seychelles et Maurice se classent respectivement à la 23e place, avec une note de 70/100 et à la 49e place avec une note de 54/100.
Pour la liberté de la presse (classement Reporters Sans Frontières), l’Union des Comores se situe à la 83e place (soit une perte d’une dizaine de points depuis 2018, année du changement constitutionnel).
Selon le classement de l’Économiste Intelligence Unit, en matière de démocratie, les Comores se situent à la 30e place des pays africains, parmi les régimes autoritaires, et au 120e rang mondial, avec une note de 3,20/10
À ce sujet, l’opposition politique nationale et les Organisations de la Société civile comptabilisent plus de 150 prisonniers politiques (parmi lesquels l’ancien Président Ahmed Abdallah Mohamed Sambi et le Gouverneur Salami Abdou Salami), une cinquantaine d’exilés politiques et 35 assassinats, y compris d’officiers de l’AND, sans qu’aucune enquête judiciaire soit diligentée.
Réalités diplomatiques et politiques
Concernant l’activité diplomatique, le Colonel Assoumani Azali affiche une totale satisfaction, estimant que ce choix ne peut que renforcer l’égalité entre les grands pays du continent et les petits États insulaires. Mais, il est évident que l’Union des Comores n’a ni les ressources financières ni les capacités d’un déploiement tous azimuts de sa diplomatie, face aux impératifs de cette haute responsabilité au nom de l’UA, qui se bat pour disposer de deux sièges au Conseil de Sécurité des Nations Unies et s’apprête à intégrer le G20.
En effet, selon la presse française, Paris a dû user discrètement de son influence et autres tractions en faveur de la candidature comorienne, le Colonel Assoumani Azali étant un des rares dirigeants africains ayant pris clairement position contre l’invasion de l’Ukraine. En contrepartie, mettant entre parenthèses le conflit de souveraineté au sujet de l’île de Mayotte dans cette relation « incestueuse » (selon la presse française), la diplomatie comorienne se croit en mesure de porter des messages positifs auprès de pays comme le Mali. Mieux ou pis, il a fallu mobiliser officiellement quelque 15 millions d’euros (7,5 milliards de francs comoriens ou KMF) pour assurer le fonctionnement de cette présidence africaine, que le Gouvernement comorien n’a point prévu dans la loi de finances 2023, alors qu’il battait campagne depuis un an pour sa candidature.
Par ailleurs, le Colonel Assoumani Azali traîne des difficultés diplomatiques particulières, notamment avec le Qatar (en se mêlant aux dissensions des pétromonarchies du Golfe), Madagascar (pour une affaire de trafics de lingots d’or) et la Tanzanie, qui plaide pour la libération de l’ancien Président Ahmed Abdallah Mohamed Sambi, condamné à perpétuité par un tribunal d’exception.
Enfin, et c’est le moins qu’on puisse dire, l’intronisation du Colonel Assoumani Azali n’a nullement recueilli la moindre adhésion auprès de ses opposants, aux Comores et dans la diaspora, qui refusent tout dialogue intercomorien initié par un homme jugé incapable de respecter ses engagements et ayant recours à un régime de terreur permanente contre toute expression des libertés publiques afin d’instaurer un système autocratique, à travers un putsch institutionnel suivi de divers hold-up électoraux pour s’éterniser au pouvoir. In fine, pour l’opposition comorienne, ce n’est qu’une manifestation supplémentaire d’une folie de grandeur ou d’une fuite en avant, visant à faire valider à Addis-Abeba la prochaine mascarade électorale prévue en 2024, en violation des principes démocratiques officiellement affichés par l’organisation panafricaine.
Entre inquiétudes, répressions, fatalisme et espérances
En somme, l’année 2023 se présente comme étant celle de toutes les possibilités pour un jeune micro-État archipélagique, africain, arabe et francophone qui, malheureusement, a déjà connu les turbulences de plusieurs coups d’État, notamment avec le recours au mercenariat de Robert « Bob » Denard ainsi que le séparatisme insulaire.
Après une période de relative stabilité et d’alternances démocratiques à tous les échelons (2001-2016), à travers une Présidence tournante entre les îles et une autonomie des îles, l’État comorien se trouve désormais au centre des grandes manœuvres à l’international.
Placée ainsi sous les projecteurs de la communauté internationale et des médias, la population continue à se débattre pour la survie au quotidien, prise entre les tenailles des pénuries des produits de première nécessité et une inflation vertigineuse, se réfugiant dans les prières contre les risques cycloniques et d’une éruption du volcan Karthala toujours en activité. Tout en se demandant quand pourrait-elle voir les retombées des gisements de pétrole et de gaz dont l’exploitation annoncée depuis plus d’une décennie n’a pas encore connu un début de commencement. D’ailleurs, les autorités de fait en Union des Comores gardent un silence radio concernant les grands projets de prospection pétrolière et de géothermie, projets initiés par ailleurs par l’ancien Président Ahmed Abdallah Mohamed Sambi. Les Comores vont-elles s’enfoncer dans la Tourmente après la Tournante ? Qu’Assoumani Azali se rappelle que le fait que le Guinéen Alpha Condé ait assuré la présidence de l’Union africaine en 2018 n’a pas empêché ce dernier de « quitter le pouvoir par la petite porte » le 5 septembre 2021.