Ce dimanche se tenaient les élections municipales aux Comores. La CENI avait pris de nouvelles dispositions pour des élections plus acceptables. Il n’en fut rien. Les municipales, comme le mois dernier les législatives ou l’année dernière les présidentielles, furent marquées par les fraudes, les erreurs de la CENI et le mécontentement général.
Par Mib
Dimanche 16 février, les Comoriens étaient, pour la troisième fois en un an, appelés aux urnes pour les élections communales. Le deuxième tour des législatives devait également se tenir le même jour, mais fortuitement, la Commission électorale nationale indépendante (CENI) et la section électorale de la Cour Suprême ont fait en sorte que les résultats du premier tour correspondent au slogan des dirigeants du parti au pouvoir : « Gwandzima » (un seul tour).

De nouvelles directives dans l’organisation des votes
Preuve du peu d’importance que les dirigeants actuels accordent aux élections communales, et contrairement à ce qui s’est passé aux présidentielles en janvier 2024 ou aux législatives le mois dernier, cette fois la CENI avait annoncé qu’elle enverrait un représentant dans tous les bureaux et que les candidats pouvaient aussi avoir un représentant chacun. Depuis 2018, il n’était pas question que des représentants des candidats de l’opposition puissent contrôler le travail des membres de bureau de vote, presque tous désignés parmi les militants de la CRC.
Les procurations, qui ont permis des fraudes massives pendant les élections présidentielles et pendant les législatives en permettant le vote à leur insu des abstentionnistes, des gens en voyage et même des morts, ont également été interdites.
Même les journalistes d’Alwatwan et La Gazette ont pu filmer et même pointer du doigt certaines pratiques. Ainsi, la journaliste Nourina Abdoul Djabar (Alwatwan) s’étonne, avec un brin d’ironie, dès 11 heures, qu’un bureau de Mdé-Bambao a pu avoir plus de 200 votants de 7h30 à 10h55, sans qu’on signale un attroupement. Il n’y avait pas de représentant du candidat de l’opposition. Un tel signalement d’un journaliste était inimaginable aux présidentielles ou aux législatives.
Toutefois, sur le terrain, dans pratiquement toutes les communes, les candidats et les militants CRC ne pouvaient pas abandonner leurs pratiques tout d’un coup et admettre qu’ils pouvaient perdre à des élections.
Toujours les problèmes dans les bureaux de vote
La veille du scrutin, par un communiqué, la CENI a même mis en place une nouvelle règle qui ne figure pas dans la loi électorale, mais qui était censée limiter les fraudes : tout remplacement d’un membre d’un bureau de vote annulera les votes dans ce bureau. En effet, pendant les élections précédentes, des barons du régime avaient pu changer les membres des bureaux de vote et placer d’autres dont ils étaient sûrs qu’ils tricheraient en leur faveur. La CENI avait même fait le geste d’annuler quelques bureaux de vote où cela s’était produit pendant les législatives.
Malheureusement, une telle disposition ne pouvait fonctionner que si le travail de la CENI était sérieux et efficace. Or dans de nombreux bureaux sur l’étendue du pays, la CENI a nommé des membres de bureau qui n’étaient pas présents à l’heure de l’ouverture, soit parce qu’ils n’étaient pas au courant, soit parce qu’ils n’étaient même pas présents au pays. D’autres membres de bureaux n’avaient pas leurs cartes ou leurs badges. Cela a donc fortement retardé le début des opérations et a suscité de l’agitation dans certains cas.
Il en a été ainsi dans les bureaux de Mtsangani dont l’ouverture a été retardée. Le maire sortant de Moroni, Said Abdoulfatahou, ancien candidat du pouvoir qui se retrouve en face d’un candidat CRC, Mohamed Ahmed a dénoncé le fait que la CENI a choisi des membres de bureau de vote qui sont candidats sur certaines listes et qu’il soit impossible de les remplacer rapidement. À Moya (Anjouan), le même problème de membres de bureau de vote s’est posé. Dans un bureau de vote de la Coulée (Moroni), certains en sont même arrivés aux mains après un cafouillage de la CENI qui a eu du mal à confirmer les membres de bureau qu’elle avait désignés. Dans le Washili, c’est carrément tout le bureau qui manquait, après des erreurs de la même CENI. Les gendarmes sont repartis avec le matériel de vote avant de revenir lorsque des membres de bureau ont été trouvés, après 11 heures.
Dans le bureau de Domoni ya Mbwani (Ngazidja), il n’y avait que la présidente du bureau qui était présente, avec impossibilité de remplacer immédiatement les autres membres absents.
Abstention et bourrages des urnes
Pendant toute la journée de vote nous sont parvenus des informations sur des tentatives ou des bourrages d’urnes, particulièrement dans la capitale et les grandes villes. Ainsi dans le bureau de Djomani (Moroni) où un responsable de la CENI a pu constater une tentative de bourrage d’urne de la part du président du bureau, qui a été immédiatement exclu du bureau sous la pression des candidats. Dans ce bureau, avaient déjà été constatés le mois dernier, lors des législatives, des bourrages sur lesquels la CENI puis la section électorale de la Cour Suprême ont fermé les yeux. Cette fois des candidats ont pu intervenir et exiger le contrôle de l’urne et des bulletins restants par le représentant de la CENI. Il a donc pu être constaté qu’un grand nombre de bulletins ont été envoyés à l’extérieur du bureau pour être signés puis ensuite revenir et être introduits dans l’urne.
Dans le bureau de la Coulée 4, une fois n’est pas coutume, c’est le candidat CRC, qui a dénoncé une tentative de bourrage de la part de son adversaire, le maire sortant qui appartient toujours à la mouvance présidentielle. C’est une première qui montre que les municipales ne sont pas les présidentielles ou les législatives. Il dénonce le fait que ses représentants et les membres de bureau de vote qui lui étaient favorables, ont été mis dehors et remplacés par des proches du maire sortant. Et il ajoute, devant les caméras, cette phrase terrible contre ce dernier, mais aussi contre le camp qu’il sert : « On se connait dans les pratiques du vote, nous étions ensemble ». Si ce n’est pas un aveu des pratiques du pouvoir en matière de fraudes…
La fermeture des bureaux a eu lieu à 18 heures et il a été impossible de fournir des résultats la nuit, ce qui laisse des soupçons sur des ententes avec le gouvernement pour arranger les résultats.
Et comme c’est devenu une habitude dans ce pays depuis 2018, partout les candidats se plaignent des fraudes, estiment qu’elles ont été orchestrées par la CENI et aucun ne reconnait sa défaite. Dans une vidéo diffusée par le réseau CDN, un candidat et ses partisans d’Iconi estiment que des fraudes ont eu lieu dans les bureaux de la commune et mettent en garde la CENI sur les résultats qu’elle serait sur le point de publier. Un vieux notable d’Iconi, qui en a vues des vertes et pas mûres, depuis les fraudes aux présidentielles de 2002 affirme : « Ce régime n’a jamais gagné un vote, il prend, c’est tout ! »
Depuis 2018, la CRC et les hommes politiques au pouvoir ont fini par habituer les Comoriens aux fraudes et ils ont décrédibilisé toute opération électorale. Les gens ne se déplacent même plus pour accomplir ce devoir citoyen, et il semble qu’hier l’abstention a encore battu des records dans tout le pays. Les chiffres de la CENI vont sans doute dire le contraire.