Interview exclusive de Mohamed El-Amine Souef, ministre des Affaires étrangères
En marge de la visite officielle du chef de l’État comorien en France, le Ministre des Affaires étrangères Souef El-Amine a signé avec son homologue français un accord par lequel l’État comorien s’est engagé à mettre fin aux déplacements de kwasa-kwasa vers Mayotte et l’État français a promis de mettre sur la table 150 millions d’euros sur trois ans pour financer des secteurs clefs de la coopération comme la santé et l’éducation (voir Masiwa n°75).
” Il s’agit aussi de lutter contre les trafics humains en mer”
Masiwa – Monsieur le Ministre, vous venez de signer un nouvel accord de coopération avec la France, un accord qui est presque entièrement axé sur la lutte contre les déplacements de Comoriens à Mayotte, avez-vous « vendu » Mayotte, comme on l’entend beaucoup ces derniers jours ?

Mohamed Souef El-Amine (MSEA) – Je regrette qu’un journal aussi sérieux que Masiwa reprenne les formules de ces extrémistes qui entonnent toujours cette chanson chaque fois que les Comores sont en discussions avec la France. C’est du réchauffé ! Combien de fois Mayotte a été vendue ces dernières années ?
Si travailler pour que le transport maritime entre les quatre îles de l’archipel, notamment entre Anjouan et Mayotte, se fasse dans des conditions de sécurité et de sûreté, c’est vendre une partie du territoire, nous n’avons pas alors la même définition de l’intérêt général. Combien de vies humaines avons-nous perdues à cause de ces embarcations de fortune qui opèrent illégalement et qui ne répondent à aucune norme de sécurité ? Il ne s’agit pas que du bras de mer entre Anjouan et Mayotte, même le transport maritime entre Ngazidja et Mohéli ou Mohéli et Anjouan doit être soumis à une règlementation rigoureuse. Il s’agit aussi de lutter contre les trafics humains en mer qui se font entre nos îles et l’Afrique continentale ou Madagascar. Il est aussi conclu pour lutter contre la piraterie et le pillage de nos ressources, notamment halieutiques.
Masiwa – Pourquoi un nouvel accord alors que l’année dernière vous défendiez la feuille de route élaborée et signée par les deux parties ?
MSEA – Vous êtes mieux placé pour savoir qu’une feuille de route et un accord-cadre n’ont pas la même portée juridique. Avec la signature de cet Accord-cadre, le 22 juillet dernier à Paris, avec mon homologue et ami Jean-Yves Le Drian, nous avons franchi un palier dans les relations bilatérales. La feuille de route a posé les bases de ce partenariat renouvelé et cet Accord vient approfondir ce sur quoi nous sommes convenus en novembre 2018.
Masiwa – La volonté d’empêcher des Comoriens de se rendre à Mayotte est justifiée par la sécurité maritime, n’y a-t-il pas d’autres moyens d’assurer la sécurité de la circulation maritime que de l’interdire ? Est-ce qu’à cause des accidents de la route, vous allez aussi interdire les voitures et mettre des murs sur les grandes artères ?
MSEA – Votre exemple est malvenu. Quand des véhicules qui ne répondent pas aux normes de sécurité sont à l’origine de nombreuses pertes en vies humaines, faut-il les laisser continuer à opérer ou plutôt les interdire pour réfléchir ensemble sur la mise en place d’un système de transport plus sûr ? Telle est la question ? Comment doit-on laisser ces frêles embarcations qui, très souvent, entassent les passagers comme s’il s’agissait de marchandises, continuer leur commerce macabre ? Nous œuvrons pour faciliter le transport inter-îles aussi bien maritime qu’aérien dans l’ensemble de l’archipel.
Masiwa – Quels sont selon vous les points favorables à l’État comorien et à son unité dans cet Accord ?
MSEA – Cet Accord-cadre nous permet de relancer, recadrer et renforcer la coopération bilatérale entre les deux pays. La relance de l’agriculture, la formation et l’insertion des jeunes et l’amélioration de notre plate-forme de santé sont favorables à l’État comorien. Ce sont des domaines vitaux pour le développement de notre pays. Cet Accord ouvre d’autres perspectives de coopération dans la sécurisation de notre Zone Économique Exclusive et de notre patrimoine. Cet Accord vient aussi appuyer les autorités comoriennes dans leur ambition de faire des Comores un pays émergent à l’horizon 2030 à travers le financement de nombreux projets destinés à booster l’économie nationale.
Masiwa – Vous avez toujours dit que vous ne négocierez jamais avec les élus maorais, finalement, ils étaient bel et bien à la table des négociations, à quoi est dû ce changement de position ?
MSEA – Détrompez-vous, nous n’avons jamais négocié avec les élus mahorais. Le texte que nous avons signé a fait l’objet de nombreuses séances de travail entre les deux ministères des Affaires Étrangères aussi bien à Paris, qu’à Moroni, New York et Erevan. Les élus maorais n’ont assisté qu’à la signature du document. Il a fallu 18 mois de négociations pour parvenir à cet Accord.
Masiwa – Les idées que prônent les élus maorais depuis plusieurs semaines ont toutes ou presque étaient intégrées dans les Accords que vous venez de signer, on peut dire que vous avez enfin trouvé une convergence de vues avec vos cousins ?
MSEA – À quelles idées faites-vous allusion ? Les élus maorais qui sont plutôt des frères auraient bien souhaité que les 150 millions d’euros que nous a accordés la France soient versés dans l’enveloppe destinée à l’île, ce qui est tout à fait normal. Sinon, il n’y a pas de mal à avoir avec les élus maorais des convergences de vues, à condition qu’elles reposent sur le droit international. Le président Azali, lors de sa conférence de presse conjointe avec le président français, Emmanuel Macron, a insisté sur l’appartenance de Mayotte aux Comores en vertu de ce droit international et nous n’avons jamais varié sur ce point.
Masiwa – Le gouvernement a-t-il l’intention de faire ratifier cet Accord au parlement ? A-t-il l’intention d’en discuter avec les élus du peuple ou le chapitre est clos et on passe à son application ?
MSEA – Un accord bilatéral n’est ni un Traité ni une Convention internationale. Le Gouvernement est dans son droit quand il discute et signe un accord avec un partenaire ou un pays ami, sans que forcément le parlement soit consulté.
Masiwa – En parlant d’application, allez-vous réellement détruire les ateliers de fabrication de kwasa-kwasa ou mettre en prison des gens arrêtés en pleine mer et à destination de Mayotte ?
MSEA – La vocation des kwasa-kwasa, c’est de pêcher, pas de transporter des passagers d’une île à une autre. Il n’est pas question de détruire les ateliers de fabrication de ces embarcations. Par contre, nous allons veiller scrupuleusement à ce que le transport inter-îles soit assuré par des bateaux répondant aux normes de sécurité.
Masiwa – Les élus maorais ont fait fuiter cet Accord, qui est à leur avantage, alors que la diplomatie comorienne continuait à vouloir le cacher, pourquoi y a-t-il tant ce goût du secret au MIREX, même sur des choses banales comme un accord déjà signé entre deux États ?
MSEA – Le Ministère des Affaires Étrangères ne pouvait pas divulguer un accord, qui était en négociation. Dès lors qu’il est signé, nous n’avons aucun intérêt à le cacher. D’ailleurs, ce document sera communiqué officiellement au Conseil des ministres et publié dans le journal officiel de l’État.
Masiwa – Dans quelques jours, la COI se réunit à Moroni pour discuter de sa réforme, l’intégration de Mayotte est-elle à l’ordre du jour comme le demandent les élus maorais ?
MSEA – Aucune discussion sur ce sujet n’est prévue dans l’ordre du jour de cette retraite ministérielle.
Propos recueillis par Mahmoud Ibrahime