L’un fait partie des soutiens indéfectibles du président Azali Assouamni, l’autre un des jeunes opposants au régime et surtout défenseur de l’État de droit et des tournantes 2021 à Anjouan et 2026 Mohéli. Msa Ali Djamal, conseiller en communication à l’Assemblée de l’Union et membre du parti CRC et Soilihi Kays opposant connu pour ses prises de paroles acérées contre le régime Azali s’affrontent à distance pour le bilan du mandat de cinq ans du locataire de Beit-salam. Pour Msa Ali Djamal, « les Comores connaissent un progrès notable à plusieurs égards » depuis le retour d’Azali au pouvoir quand Soilihi Kays voit plutôt une « régression ». Deux visions diamétralement opposées sur la gestion du pouvoir s’expriment sur le bilan d’Azali Assoumani et la présidence tournante. Par Propos recueillis par Abdou Faissoili
Masiwa – Après cinq ans de pouvoir d’Azali Assoumani, peut-on dire qu’il a fait avancer le pays ?
MSA ALI DJAMAL – Le train de l’émergence est en marche. À comparer avec les années précédentes, les Comores connaissent un progrès notable à plusieurs égards. Au point de vue institutionnel, nous avons, avec la Nouvelle Constitution 2018, des institutions fortes. Trois avancées illustrent ces hauts faits du texte constitutionnel. La réforme de la tournante limitée à deux mandats est un acquis important et parce qu’on donne au Président élu la possibilité de réaliser son programme en dix ans étant entendu que cinq ans n’est pas suffisants pour opérer un changement majeur. Deuxième élément, les institutions budgétivores ont été supprimées, la fonction publique réformée se dote désormais d’un fichier unique. Troisième élément, la modalité d’élection du Président de l’Union a été revue dans l’espoir d’insuffler à travers ce mécanisme institutionnel et électoral, une vision positive et dynamique de l’esprit de la citoyenneté. Organiser des primaires sur l’ensemble du territoire, c’est rompre avec une citoyenneté de rejet pour nouer avec une démocratie de projet. Au niveau judiciaire et législatif, le Chef de l’État, Azali Assoumani a promulgué le 30 janvier 2021, par Décret n°21-005/PR, la loi n° 20- 034/AU portant révision de la loi n° 94 – 035/AF relative à la loi d’orientation de l’éducation, adoptée le 12 décembre 2020 par l’Assemblée de l’Union des Comores. Cette nouvelle loi de l’Orientation de l’éducation est une loi fondamentale pour rétablir l’égalité d’accès aux savoirs. En instituant l’école unique (fusion de l’école coranique dans l’école pré-élémentaire), le gouvernement veut démocratiser l’accès à l’éducation, réduire les inégalités scolaires, honorer notre religion, notre langue et notre culture. Dans cette loi, l’école technique et professionnelle est intégrée dans le système éducatif. Un système d’attribution de bourses est évoqué sous la responsabilité d’un comité d’attribution. À propos de la justice, je note la création du Haut Conseil de la Magistrature dont l’objectif est de donner plus de crédibilité et plus d’impartialité au système judiciaire comorien.
SOILIHI KAYS – Au moins sur cette question tous les Comoriens sont unanimes, à l’exception, bien sûr, du cercle restreint de la confrérie des obligés, la réponse est non : la corruption érigée en doctrine transversale partagée par tous les tenants du régime (d’où la dissolution de la Commission anti-corruption pour avoir les mains libres) ; les opérateurs économiques nationaux asphyxiés par favoritisme amical et familial notamment en matière de marché public ; une incohérence abyssale en matière de stratégie économique qui se traduit par des bricolages.
Je peux citer l’exemple de la stratégie énergétique qui avantage Vigor et Innovent au détriment de Sonelec qui risque de devenir dans peu de temps un simple distributeur d’énergie achetée chez les rapaces. Pourquoi l’État ne finance pas lui-même le projet solaire de Foumbouni en lieu et place d’Innovent, la boite privée de l’ami de Mme l’ambassadrice de France, qui gagne toujours des marchés là où cette dernière est en poste comme ce fut déjà le cas en Namibie ? Pourquoi faire du solaire à Anjouan alors qu’un projet hydroélectrique plus viable, écologique et rentable est sur la table depuis des années ?
On peut aussi évoquer les recommandations de la Banque centrale des Comores qui sont aux antipodes des choix d’un gouvernement plutôt étranglé par une dette qui explose. La Banque appelle la diaspora pour venir épargner dans l’espoir de financer l’économie et parallèlement, l’État, via son accord avec la Meck, puise sur l’épargne des Comoriens pour payer les salaires. Paroxysme de l’incohérence économique. Aucun membre de la diaspora n’épargnera dans un climat économique aussi hasardeux. Aucun opérateur sérieux ne viendra investir son argent dans une jungle sans justice. Seuls les rapaces viendront nous dépouiller le dernier linceul.
On peut également aborder la question des millions d’aides envoyés suite à la crise sanitaire (covid-19) et le cyclone Kenneth et qui ont été volés. Comment comprendre que malgré les montants pharaoniques octroyés par le FMI, la Banque Mondiale, la Banque Africaine de Développement et les fonds propres engagés, Anjouan et Mohéli n’ont aucun PCR, un appareil qui coûte 35 000 euros ?
Enfin, les dépenses publiques explosent, au point qu’entre 2018 et 2019 la hausse a atteint 25 %. On est passé de 90 milliards (2017) à 124 milliards (2019). Un rapport du FMI est très sévère sur la stratégie budgétaire du gouvernement.
Ils sont forts à gaspiller l’argent du contribuable dans des conneries qui ne produisent que la division, la haine et les inimitiés : les assises (680 millions), le referendum (745 millions) et les élections (1,75 milliard). Et pourtant des secteurs importants de notre pays manquent cruellement de moyens : Santé, Éducation, Justice, Tourisme… pour ne citer que ceux-là. Bref, le pays a de l’argent, mais ils l’utilisent mal.
Masiwa – Msal Ali Djamal, quelles réalisations du gouvernement durant ces cinq ans pouvez-vous nous citer ?
MSA ALI DJAMAL – Des nouvelles lois accompagnent cette dynamique. Un nouveau code pénal a été approuvé. Issu du modèle colonial, il est désormais adapté à la réalité comorienne. Toutes les infractions à l’échelle nationale et internationale ont été considérées. Pour mieux protéger nos enfants et nos concitoyens, nos personnes et nos biens. Pour mieux préserver nos vies privées sans enfreindre nos libertés. Et même pour penser aux générations futures. À la nouvelle loi d’organisation judiciaire, l’État comorien peut désormais honorer les engagements de notre pays vis-à-vis des conventions internationales et de la volonté de rapprocher les citoyens de la justice avec l’idée de créer un tribunal de grande instance dans chaque région pour faciliter les démarches administratives des citoyens. Sur le domaine du transport, un projet de création d’une compagnie nationale est en cours. Au niveau international, notre pays gagne en crédibilité dans les instances régionales et internationales. Nos partenaires au développement ont confiance en la solidité de nos institutions. L’élection du Président Azali au poste du 2e Vice-Président du Bureau de la Conférence de l’UA, suivi du Général Abdel Fattah Al-Sissi est un indicateur important quant au statut qu’on accorde à notre pays. Au niveau socio-économique, notre pays est classé dans le groupe des pays à revenu intermédiaire. Pour la première fois, le budget national est repensé dans un esprit de construire le pays et non de rester dans la gestion du quotidien. La mise en place du chapitre Investissement public dans la loi des Finances est une des conditions clés pour engager une transformation positive de notre pays. Les résultats sont palpables : développement des infrastructures qui s’articule autour de l’agriculture, de la santé, de l’énergie. En somme, le pays est gouverné.
Masiwa – Soilihi Kays, n’avez-vous pas constaté des réalisations du gouvernement pendant ces cinq dernières années ?
SOILIHI KAYS – Sérieusement, je ne vois pas. Je les entends souvent clamer trois choses : les routes, l’énergie et l’émergence. Ce dernier est un slogan creux sans contenu, qui ne peut être possible que dans un pays où il existe un minimum de sérieux. Expliquez-moi comment on peut parler d’émergence dans un pays où le respect de la loi est le cadet des soucis des gouvernants ? Comment on peut parler d’émergence dans un pays où le ministre de l’économie lui-même est incapable de commenter le moindre document économique sérieusement ?
Pour les routes, effectivement Azali a inauguré beaucoup de routes, mais il s’agit de projets initiés par le gouvernement précédent sous la houlette du vice-président Nourdine Bourhane. Alors si inaugurer une œuvre nous en procure la paternité, pourquoi ne pas rajouter dans son bilan l’hôpital de Bambao qu’il a également inauguré. Le prochain président inaugurera les routes initiées par Azali, c’est la règle dans un État.
Pour l’énergie, ce qui est plus schizophrénique, c’est quand tu les entends, dans un meeting éclairé par les phares des voitures ou un groupe électrogène, dire qu’ils ont réussi le pari de l’électricité 24h/24 dans le pays.
On achète des moteurs sans appel d’offre parce que c’est la meilleure manière de voler l’argent du contribuable, une pratique érigée en sport national.
La transition énergétique, un mirage. Des choix incohérents, coûteux et résolument nocifs pour la société nationale, Sonelec.
Masiwa – De l’avis des organismes internationaux, les libertés fondamentales ont connu un net recul ces dernières années aux Comores. Est-ce aussi votre sentiment ?
MSA ALI DJAMAL – Le pays n’a jamais été autant libéral que ces derniers temps. Je dirais même qu’il est très tolérant et permissif en matière de libertés. Il suffit de regarder l’excès des libertés d’expression qui domine le débat public. À ORTC, à Al-watwan, sur les réseaux sociaux, les citoyens s’expriment sans restriction. Des auteurs de troubles publics de la diaspora sont même venus célébrer leur mariage sans être inquiétés. L’opposition s’exprime dans les médias, dans les espaces publics, à travers des conférences de presse, je me demande sur quoi on se base pour dire d’aussi graves inexactitudes.
SOILIHI KAYS – Absolument. Les assassinats sont légion (Faissoil, Moutui, Salim, Gazon, lieutenant Ahmed Abou, major Bapale, etc.), pire la justice est sommée de n’ouvrir aucune information judiciaire. Et il y a des personnes censées qui soutiennent encore ce régime d’horreur ?
Les séquestrations comme celles de Sambi, Salami, Agwa, Sabikia, Abdulbanthi, Loukmane, Soula, Dr Mohamed, Rabioun, etc. La plupart d’entre eux ont fait plus de deux ans en prison sans procès.
Les actes de tortures et de cruauté humaine infligés aux compatriotes, y compris tuer et ensevelir sans la moindre sépulture dans une fosse à l’insu des familles, obligeant la population à déterrer le corps du Major Hakim alias Bapale pour l’identifier.
Les rapports des Nations-unies sur les droits humains dénonçant la torture sont éloquents… Le plus scandaleux dans cette dégradation c’est plutôt l’attitude de la commission nationale des droits de l’homme (Cndhl) qui s’est réduit à un simple organe de propagande de la communication du régime criminel et laissant de surcroît Michel Bachelet et Nils Mezler le soin de dénoncer les crimes et autres abominations commis sous les yeux et pieds de Mme Sittou-Raghadat (présidente de la CNDHL) aux Comores.
Masiwa – Selon vous, est-ce que les quelques réalisations du régime actuel peuvent justifier le fait que les autorités actuelles veuillent faire fi des risques de troubles dans le pays en passant outre le principe de la tournante de 2021 à Anjouan ?
MSA ALI DJAMAL – On voit très bien que vous êtes à l’étranger et très éloigné de l’actualité politique des Comores. En juillet 2018, une nouvelle Constitution a été adoptée par référendum. Des nouvelles institutions ont été créées. Des élections ont été organisées. En somme, ce n’est pas le bilan extrêmement honorable ni les caprices de l’opposition qui déterminent les dates des échéances électorales. Loin s’en faut. Le fonctionnement des institutions se conforme désormais aux règles et principes constitutionnels.
SOILIHI KAYS – Aucune réalisation n’autorise un dirigeant de passer au-dessus de la loi commune surtout quand celle-ci résulte d’un long processus de réconciliation nationale conséquemment à une crise ayant failli ébranler l’existence même de la nation… Les grands hommes d’État doivent toujours veiller à préserver le plus précieux des biens pour la nation, son unité. Hélas, nous avons souvent chez nous des politiciens au sens le plus péjoratif du terme en lieu et place des grands hommes d’État. Quand les premiers se soucient du comment s’éterniser au pouvoir, les seconds, en revanche, leur obsession est de laisser une belle empreinte dans l’histoire de la nation.
Aujourd’hui, on a un homme au sommet de l’État qui est la confluence de toute la somme de lâchetés : le premier Comorien a perpétré un coup d’État contre son pays, le chef d’État major parti se réfugier à l’ambassade de France pendant que la nation est agressée et le voilà aujourd’hui l’homme qui va rompre la tradition de passation de pouvoir pacifique retrouvée dans le pays depuis le consensus de Fomboni. On peut tous s’accorder que ce petit Bokassa, pour plagier l’ancien premier ministre Abasse Djoussouf, n’est pas un homme d’État.
Comble de l’incompréhension, plutôt que de multiplier les réalisations dans l’île à laquelle échoit la tournante en espérant rehausser sa popularité qui pourrait lui être positif dans sa posture actuelle, au contraire, submergé par la haine viscérale qui lui ronge contre cette île, il n’a fait qu’amplifier les injustices à l’adresse des Comoriens de cette ile: l’hôpital de Bambao sacrifié, l’hôpital qatari de Hombo abandonné, le port de Mutsamudu pourtant éligible à un grand projet régional au même titre que des ceux de Maurice, Madagascar, Seychelles, jugé non prioritaire, ses leaders politiques séquestrés (Sambi, Salami) et autres.