L’ancien Gouverneur d’Anjouan, Abdou Salami Abdou est toujours en prison, au mépris de la procédure judiciaire en vigueur aux Comores, comme l’a rappelé récemment l’un de ses avocats qui a fait plusieurs demandes de libération conditionnelle en attendant le procès. Par Mahmoud Ibrahime
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Dans un point de presse tenu le 5 octobre dernier, Me Abdullatuf Bacar a révélé que l’instruction de l’affaire qui a mis en prison son client est terminée et qu’il attendait avec impatience de pouvoir défendre Abdou Salami, dès que les autorités auront fixé une date pour le procès.
Trois chefs d’inculpation retenus sur six
C’est dans un langage précis, clair et posé que cet avocat au barreau de Mutsamudu, qui est associé dans cette affaire à Me Mahamoud du barreau de Moroni, a expliqué que son client était poursuivi au départ pour six chefs d’inculpation et qu’au final le juge d’instruction n’en a retenus que trois : participation à un mouvement insurrectionnel, trouble à la sécurité publique, atteinte à l’unité nationale. Le gouverneur avait réfuté les six chefs d’accusation, il continue à clamer son innocence sur les trois retenus. Son avocat a rappelé qu’avant son arrestation, il avait réalisé une vidéo dans laquelle, il proclamait son innocence : il avait bien organisé une manifestation pacifique, mais des éléments « militarisés » s’étaient infiltrés à son insu. Il reste sur la même position, un an après.
La justice a donc abandonné les accusations de port illégal d’armes, de rébellion et de complicité de meurtres puisque nous rappelons qu’officiellement il y a eu deux morts lors de l’insurrection provoquée par un groupe de rebelles dans la médina de Mutsamudu.
Les observateurs qui ont suivi les échanges entre le gouvernement central et le Gouverneur d’Anjouan plusieurs mois avant son arrestation peuvent s’étonner que le juge ait pu retenir l’accusation d’atteinte à l’unité nationale, tant on a vu Abdou Salami faire tout ce qu’il pouvait pour qu’aucun de ses actes ne puisse ressembler à un mouvement contre l’unité des Comores.
Le droit de la défense respecté
Toutefois, contrairement à ce qui s’est passé à la Grande-Comore où l’avocat d’Ahmed Abdallah Mohamed Sambi s’est plaint de la présence d’un militaire dans la pièce où il devait s’entretenir avec son client, à Anjouan Me Abdullatif Bacar a tenu à remercier le juge d’instruction qui lui a permis de voir son client autant qu’il le désirait et en privé. Il a également eu accès au dossier à chaque fois qu’il le souhaitait et a pu travailler sereinement, sans jamais faire fuiter d’éléments dans la presse.
Par contre, il a exprimé ses regrets sur la décision de maintenir son client en prison pendant tout le temps de la procédure et même en attendant le procès alors qu’il présentait toutes les garanties d’une représentation, ayant montré, selon l’avocat sa volonté de se soumettre à la Justice de son pays.
Refus répétés d’une libération conditionnelle
Abdou Salami a été mis en résidence surveillée depuis le 21 octobre 2018, sans que le gouvernement suive une procédure. Ce n’est que le 25 octobre qu’on lui a signifié son arrestation et sa mise en résidence surveillée. Dès le 1er novembre, les avocats ont demandé qu’il puisse être libre chez lui en attendant le procès. La demande a été rejetée par le juge le 8 novembre et cela a été justifié par le fait qu’il n’avait pas encore été entendu par le juge. L’avocat rappelle que ce n’est pas un point de droit mais que les juges, aux Comores, ont l’habitude de dire qu’ils ne peuvent prononcer une libération conditionnelle avant que la personne ne soit entendue. Le 16 avril, la détention provisoire n’ayant pas été renouvelée au bout de quatre mois, l’avocat a encore fait une demande de libération. Cette fois le juge a justifié son refus par le fait qu’en matière criminelle il n’était pas tenu par des dates. Les avocats ont fait appel de cette décision et n’ont jamais obtenu un jugement d’appel.
Me Abdullatif note qu’à défaut d’un jugement par la Cour d’appel, au bout d’un mois, la personne en détention provisoire doit être relâchée (article 194 du code de procédure). L’appel ayant été fait le 4 mai, il aurait dû être libéré le 4 juin. Mais, le juge refuse toujours de le libérer en attendant le procès, même maintenant que l’instruction est terminée. L’avocat a annoncé qu’il vient de formuler une troisième demande de mise en liberté.
Le cas Abdallah Mohamed
Parmi les regrets exprimés par l’avocat il y a le fait qu’Abdallah Mohamed, l’ancien Secrétaire général du Gouverneur Salami a admis en garde à vue avoir organisé la manifestation pacifique et avoir rendu compte à son supérieur hiérarchique, pourtant, il n’a jamais été inquiété et dans le procès qui va avoir lieu, il n’est même pas cité. Entre temps, Abdallah Mohamed a accepté du pouvoir central de remplacer le Gouverneur déchu et est entré dans les rangs, devenant un « collaborateur » du gouvernement central.
Pour l’avocat, finalement, le procès ne vise plus à savoir si l’ancien Gouverneur a détenu des armes qu’il a donné aux jeunes qui ont mené l’insurrection, mais uniquement de savoir si « la manifestation pacifique » était une préparation à l’insurrection.
Il est quand même à remarquer que depuis les Assises nationales, chacun pouvait s’attendre à un emprisonnement du Gouverneur d’Anjouan, vu qu’il s’opposait et dénonçait l’illégalité des actes posés par le gouvernement central, entre autres la suspension de la Cour constitutionnelle ou le référendum du 30 juillet.
Les accusations mensongères contre Salami
Il a donc été accusé dans deux affaires qui finalement ont fait pschitt.
Après « l’attentat » contre le Vice-président Moustadrane, le 21 juillet 2018, dès le lendemain, le ministre de l’Intérieur et le Directeur de cabinet du président, chargé de la défense le désignaient comme le principal suspect, celui qui aurait monté « l’attentat », finalement son nom n’a même pas été cité pendant le procès, alors qu’il était déjà en prison et accusé pour l’insurrection de la Médina.
Pour l’affaire de la Médina, une source militaire avait indiqué au journal Masiwa que le gouvernement détenait une vidéo dans un téléphone portable montrant le Gouverneur en train de distribuer des armes aux insurgés dans la mosquée de vendredi de Mutsamudu. Ces propos avaient été confirmés par le ministre de l’Éducation, Mahamoud Hafi, envoyé en mission dans sa ville natale pendant l’insurrection, des propos qu’on peut retrouver dans une vidéo encore visible sur YouTube et dans laquelle il affirme : « Il nous est apparu comme une évidence que les gens qui leur ont donné ces armes ce sont les responsables du gouvernement d’Anjouan. Je le dis et si Docteur Salami veut nier qu’il nie, le jour où ces armes ont été sorties Dr Salami tu étais à la mosquée du vendredi de Mutsamudu, tu as fait le hutuba et tu as dit aux enfants de Mutsamudu qui étaient à l’intérieur : « Prenez ces armes pour un combat de jihad, sur le chemin de Dieu » »
L’accusation est assez grave, mais quelques jours après, elle ne tenait pas. Il n’y avait aucune vidéo et les autorités reconnaissaient que c’était un mensonge.
A ce propos de cette deuxième accusation gratuite, l’avocat de l’ancien gouverneur a annoncé qu’une plainte allait être déposée pour « accusations mensongères » et diffamation.
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