Mohamed Ahmed-Chamanga est linguiste et éditeur, fondateur de la première maison d’édition comorienne. Il reste pour une génération celui qui s’est élevé contre le séparatisme anjouanais en 1997 et a organisé la riposte dans la diaspora. Après une tentative en politique, il est retourné modestement dans la recherche sur le shikomori et la production de livres. Par Mahmoud Ibrahime
Mohamed Ahmed-Chamanga qu’on appelle affectueusement « Chamanga » est né à Ouani (Anjouan), une ville d’intellectuels dans laquelle on aime chanter : « Udzima uwo muhimu/Wa hwendresa intsi usoni/Rike tifaki moja/ Ya huundra litwaifa ».
Est-ce pour cela que Chamanga se sent à l’aise dans chaque île ? Est-ce pour cela qu’il se bat pour l’unité du pays ?
Ce sera sans lui !
Fin août 1997. Tandis que le séparatisme assommait des militants sur le front de l’unité des Comores, que des intellectuels et cadres anjouanais hésitaient à rejoindre les partisans de la recolonisation, une phrase vint les réveiller d’un coup. Cette phrase avait d’autant plus de poids qu’elle venait d’un chercheur, un linguiste qui depuis le temps de l’ASEC et de la révolution soilihiste était resté en marge de la politique. Mohamed Ahmed-Chamanga s’est révélé d’un coup à beaucoup d’entre nous par une Tribune publiée par le journal gouvernemental, Al-watwan. Anjouan était en ébullition. Les séparatistes tenaient l’île et réclamaient de pouvoir fonder l’État d’Anjouan, Chamanga lança dans le journal de l’État ce cri du cœur qui était aussi un appel à la raison envers ceux qui vivaient à Anjouan et un appel au combat pour ceux qui étaient en France : « Chers Anjouanais, (…) s’il vous plaît, lorsque vous aurez réussi à faire appareiller votre navire et à hisser les voiles, ne m’emmenez pas avec vous !».
Cette phrase sonna comme un appel au ralliement. En France, avec Abdallah Mirghane et d’autres Anjouanais qui refusaient la folie séparatiste, Chamanga mit en place l’Association Fraternité anjouanaise dont l’objectif était de montrer que tous les Anjouanais n’étaient ni pour l’éclatement des Comores ni pour créer l’État d’Anjouan et encore moins pour appeler la France à la recolonisation de l’île. L’association se dota d’un organe de presse distribué dans tous les lieux de rencontre : Masiwa (l’ancêtre de votre journal). Une fois le clivage contre les séparatistes affirmé, l’association devint Fraternité Comorienne et intégra des Comoriens des autres îles.
Le soutien de la diaspora
Fraternité Anjouanaise fut si efficace que l’Association Franco-anjouanaise dont les membres, faisaient le lien entre l’extrême droite, essentiellement les Royalistes de l’Action française et les séparatistes dans l’île d’Anjouan, porta plainte contre Chamanga pour avoir désigné dans Masiwa les séparatistes en France par le terme « clique ».
C’est serein et son sourire habituel qu’il se présenta devant la 17e chambre correctionnelle du Tribunal de Paris, soutenu par de nombreux Comoriens de la Diaspora. Les quelques membres de l’association Franco-anjouanaise présents se cachaient des objectifs des appareils photos et exigeaient en vain qu’on ne les prenne pas en photo, honteux d’avoir engagé ce procès, mais surtout d’avoir obtenu le soutien de l’extrême droite française.
Par ce procès, l’Association franco-anjouanaise cherchait à casser la dynamique qui s’engageait en France contre les séparatistes. Bien que Chamanga fut condamné, ce procès lui donna une plus grande stature dans la diaspora comorienne en France et l’encouragea à continuer d’une manière plus rassurée son combat. C’est donc tout naturellement qu’après plusieurs rencontres, la diaspora désigna Mohamed Ahmed-Chamanga et Mahamoud Azihary pour la représenter et porter ses revendications à la Conférence d’Antananarive qui devait mettre fin au séparatisme aux Comores. Malheureusement, les séparatistes sont repartis en demandant un délai de réflexion et ont fini par refuser l’Accord de réconciliation.
Le putsch du colonel Azali en avril 1999 mit fin à tous les espoirs de régler la crise sans que l’État ne se mette à genoux devant ceux qui ont voulu le détruire. Ce fut un échec flagrant pour tous ceux qui dans la diaspora se battaient depuis 1999. Pour Chamanga et Fraternité comorienne, il fallait désormais se battre à la fois contre les séparatistes et le gouvernement putschistes qui cédait l’essentiel à l’État d’Anjouan. La constitution de 2001 consacra le dépouillement de l’État comorien en faveur de l’État d’Anjouan. Chamanga était contre cette constitution qui ne laissait à l’État que des symboles ou des éléments sur lesquels il n’avait aucune prise (Défense extérieure et monnaie). Il s’y opposa autant qu’il put. Mais, il était arrivé à cette évidence que les militants de la diaspora ne pouvaient pas continuer à refuser une certaine « normalisation » de la situation politique alors qu’à Anjouan des citoyens étaient torturés dans des conteneurs surchauffés. Il fallait laisser passer la nouvelle constitution pour la changer plus tard, avec des députés soucieux des intérêts du pays. Ce ne fut pas le cas. Azali s’empara du pouvoir grâce à une fraude massive et au retrait de ses deux adversaires au deuxième tour.
La recherche et l’édition
Chamanga recentra alors ses activités sur la linguistique. Il prit l’initiative de fonder une maison d’édition, KomEdit. Il réunit pour cela quelques-uns de ses proches avec lesquels il avait passé près de trois ans dans le combat contre le séparatisme (Abdallah Mirghane, Ben Amir Saandi… et même le rédacteur de ces lignes). Chamanga s’est investi entièrement dans ce projet qui a permis à de nombreux écrivains comoriens d’oser enfin sortir leurs manuscrits. Il s’y était préparé. Dans le cadre d’une collaboration entre le Centre d’Étude et de Recherche sur l’Océan Indien (CEROI-INALCO) où il était chargé de cours de shikomori et les éditions L’Harmattan, il était co-directeur de la collection consacrée à l’archipel des Comores et dans laquelle de nombreuses recherches sur les Comores ont été publiées. Il a appris à manier les logiciels de mise en page et les maquettes. Avec KomÉdit, il lisait quasiment tous les manuscrits et faisait les maquettes. C’est toujours le cas.
Bien qu’il a toujours gardé ses distances avec le régime Azali, il a continué à exercer son métier avec cette passion pour les Comores. Chaque année, il était au moins une fois au pays pour approfondir ses recherches sur la langue comorienne et ses variantes. Il collaborait avec l’Université des Comores et les CNDRS et particulièrement pour la sortie de la revue Ya Mkobe. Mais, en vérité, l’Université l’a sous-utilisé et continue à ignorer sa valeur unique aujourd’hui dans son domaine dans ce pays. Il est le seul à avoir autant fait de recherches sur le shikomori et depuis la fin des années 1970. Il a travaillé sur le lexique, sur l’orthographe et sur la grammaire. Il s’est montré disponible pour former des jeunes et pour organiser l’enseignement de la langue nationale, en vain.
En 2008, le président Sambi promet la création d’une Académie du Shikomori, son gouvernement annonce l’introduction de la langue maternelle dans l’enseignement dès le niveau de la primaire. Dans le cadre d’un programme de l’Union européenne aux Comores, Chamanga travaille sur des manuels d’apprentissage du shikomori, forme des formateurs dans les différentes îles. Puis est arrivée la reculade. Le gouvernement n’a jamais introduit le shikomori dans l’enseignement.
Quant à Chamanga, impassible, il continue à faire des recherches et à publier des synthèses. Après l’aventure de la politique et l’essai dans les élections de 2006, il a pris du recul par rapport à la politique et se concentre sur l’essentiel. Il affiche toujours autant le sourire comme une sorte de protection.