Le 12 mai 2018, l’aéroport de Hahaya est pris d’assaut par des milliers de Comoriens de toutes origines. Certains ont dormi là depuis la veille. Beaucoup sont habillés aux couleurs du parti Juwa. Ils sont venus accueillir leur leader, Ahmed Abdallah Mohamed Sambi qui avait quitté le pays depuis plus de six mois et dont on disait qu’il ne reviendrait pas et que s’il s’avisait à retourner au pays, il irait directement en prison. Mahmoud Ibrahime
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Le même jour, le président de l’Union, Azali Assoumani, revenait d’Anjouan. Une fois annoncé le retour de l’ex-président, et pour des raisons inconnues, il avait décidé de partir à Anjouan et revenir le même jour que ce dernier.
Les deux présidents dont la rupture a été consommée l’année précédente en juillet 2017, lorsque le président Azali avait décidé de se débarrasser des trois ministres du parti Juwa malgré une alliance qui avait permis à ce dernier de remporter les élections.
« Tsuwotsuwo ! Aha ! »
Pour des raisons incompréhensibles, le service d’ordre de l’aéroport de Hahaya et sans doute aussi le gouvernement ont décidé de laisser l’ex-président sortir de l’aéroport avant le président Azali. Sans doute que certains ont craint que le président en exercice soit hué par la foule lors de sa sortie de l’aéroport. Il a donc patienté que tous ces gens quittent l’aéroport avec leur leader. Mais, il ne savait pas que l’attente allait être longue.
Debout dans son 4X4 à toit ouvert, Sambi se dirige vers sa résidence de Voidjou, entouré par des centaines de partisans qui courent ou marchent à côté, devant ou derrière en chantant l’hymne national et d’autres chants à la gloire de leur idole. Il salue paisiblement la foule avec des gestes de la main, comme un président. Tout devant des militaires essaient de faire accélérer le cortège, car derrière le président de l’Union, Azali Assoumani est bloqué et doit patienter. Les militaires finissent par être débordés et se mêlent à la foule, courent avec elle. Le cortège a mis près de trois heures avant d’arriver chez Sambi.
«… qu’ils me suivent dans la tombe »
À la résidence de l’ex-président, une foule est déjà là à l’attendre. Tous les opposants au gouvernement Azali sont là. Devant un public acquis à sa cause l’ancien président, entame un discours de près d’une heure. Il rappelle que pendant son absence du pays il a été insulté par les partisans du gouvernement, qu’il a été menacé, prévenu de ne pas revenir au pays faute de quoi il aurait droit à un gungu ou d’être mis en résidence surveillée.
Il dénonce les intentions du gouvernement qui à travers des Assises souhaite faire un référendum pour changer la constitution pour supprimer la tournante ou reculer le tour d’Anjouan pour permettre à Azali Assoumani de prolonger son mandat. Il prévient.Chacun doit respecter la loi, et notamment la loi fondamentale.
Il sait qu’il y a des risques sur sa vie aussi demande-t-il, sous les applaudissements de la foule que ses éventuelstueurs le rejoignent dans la tombe, « en suivant la loi » qu’il répète deux fois pour éviter d’être accusé d’appeler au meurtre.
Il est conscient également qu’il est attendu sur l’affaire de la citoyenneté économique et que c’est sur cette affaire que le gouvernement entend l’arrêter. Il clame son innocence et explique comment le rapport parlementaire du députéDhoulkamalDhoihira été monté comme un piège pour l’enfermer. Il déclare se tenir à la disposition de la justice, à tout moment.
Victime de sa popularité
Une semaine après son arrivée, le 18 mai 2018, l’ex-président Sambi effectue la prière du vendredi à la grande mosquée de Moroni. À la sortie de la mosquée, les partisans du parti Juwa sont là. Ils scandent des slogans contre le président Azali et le gouvernement. Dès qu’ils aperçoivent Sambi l’applaudissent et chantent l’hymne national.
Voilà les trois scènes qui ont précipité l’arrestation et la mise en prison de Ahmed Abdallah Mohamed Sambi. Il aurait été arrêté dans tous les cas, car, comme l’expliquait un des ministres phares du gouvernement actuel, par sa grande popularité il pouvait gagner ou faire gagner les élections à n’importe quel candidat. Il menaçait ainsi l’ambition du président Azali de prolonger son mandat.
Ainsi dès le 19 mai 2018, c’est par une « note circulaire » que Sambi est mis en résidence surveillée. La décision n’est même pas assumée par une autorité gouvernementale ou judiciaire. C’est comme si tout se faisait dans la précipitation. La note est signée par le secrétaire général du Ministère de l’Intérieur, Said Abdou Djaé. Elle dit seulement : « Considérant ses agissements constatés ces derniers jours et en vue de préserver l’ordre et la sécurité publics, M. Ahmed Abdallah Mohamed Sambi est placé en résidence surveillée ». Il est donc placé en résidence surveillée, comme c’est souvent fait pour des opposants trop populaires dans les régimes autoritaires, pour trouble à l’ordre public. Aussitôt cette note remise à l’intéressé, sa maison est gardée par des militaires, personne ne peut entrer, personne ne peut sortir. Ainsi, les membres de son parti qui étaient à l’intérieur doivent attendre le jour suivant pour être autorisés par le gouvernement à quitter la maison.
Une détention provisoire qui devient définitive sans jugement
Sambi sera ainsi privée de sa liberté, sans intervention d’un juge, pendant trois mois. Le 20 août, il est présenté à un juge et pas n’importe lequel puisqu’il s’agit du juge Aliamani, neveu du président Azali. Mais, la surprise est que le juge va modifier la raison de l’arrestation de Sambi et la nature de son maintien en prison. Il le place en détention provisoire pour corruption, détournement, faux et usage de faux dans l’affaire de la citoyenneté économique. Le ministre de la Justice, par arrêté, décide que sa résidence de Voidjou devient une annexe de la prison de Moroni, par conséquent elle est aménagée pour devenir une vraie prison.
Il ne s’agit que d’un prétexte puisque selon toute vraisemblance, le gouvernement n’a pas l’intention de faire juger cet opposant gênant. On peut voir qu’aucun autre acteur important de ce dossier n’a été mis en prison. Mamadou a juste été assigné à résidence, un peu avant la campagne présidentielle, surtout pour l’empêcher de mener campagne en tant que leader de l’opposition. Mais, surtout la détention provisoire a duré les quatre mois prévus par la loi, elle a été prolongée de quatre autres mois et Sambi est toujours en prison et son jugement n’est pas près d’arriver malgré les appels incessants de son avocat ou la demande que l’ex-président a faite récemment par l’intermédiaire d’un notable de la Grande-Comore, Saïd Hassane Saïd Hachim. Sambi ne demande qu’une chose à ceux qui veulent l’aider, qu’ils fassent en sorte qu’il soit jugé.
Le gouvernement est-il prêt à juger une affaire qui touche au moins deux présidents, un Vice-président, tous les ministres de l’Intérieur depuis 2009, l’ancien chef des services des renseignements, membre du parti au pouvoir et de nombreuses personnalités ? Rien n’est moins sûr.
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