« Une société se juge à l’état de ses prisons », écrivait Albert Camus. Quand on écoute les témoignages de ceux qui sortent de la prison de Moroni, on comprend que la société comorienne est mal au point. Certes, l’état déplorable des prisons aux Comores est un sujet récurrent et qui a déjà fait couler beaucoup d’encre, mais il est facile de constater que cela empire d’année en année sans que les gouvernements successifs ne réagissent. Mahmoud Ibrahime
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Pourtant, nombre d’hommes politiques, du gouvernement et de l’opposition ont déjà vécu les affres de cette prison de Moroni, et y retourneront sans doute, encore une fois, au vu des libertés que les uns et les autres prennent avec les lois. Mais, il faut croire que cela ne les rend pas plus sensibles aux horreurs et tortures quotidiennes que vivent certains de leurs compatriotes en prison.

Une mission de l’ONU empêchée de visiter les lieux de détention
L’arrivée le 12 juin dernier et la suspension de sa mission le 15 juin, de l’expert des Nations Unies sur les tortures, Nils Melzer a mis, de nouveau, la lumière sur les conditions de détention dans les prisons comoriennes. Cette visite qui était censée venir vérifier que les accusations de pratique de la torture sur des prisonniers politiques étaient infondées, comme le prétendait le gouvernement comorien, a révélé également qu’un certain nombre d’entre eux étaient gardés au sein des gendarmeries, à Mutsamudu et à Moroni. Des lieux que le gouvernement comorien a refusé d’ouvrir à l’expert des Nations Unies, renforçant ainsi les témoignages et les suspicions de ces derniers mois, voire ces dernières années. La justice et les organisations des droits de l’Homme semblent impuissantes et parfois même préfèrent tourner la tête ailleurs.
De nombreux incident en détention
En 2016, au début du mandat de l’actuel chef de l’État, un homme entre les mains de la justice comorienne a été livré à une foule en furie qui l’a dépecé et trainé son corps dans les rues de Mutsamudu. Aucune enquête n’a été menée. L’année dernière, toujours à Anjouan, un jeune homme est mort des suites de mauvais traitements en prison, selon sa mère adoptive ? Là aussi, aucune enquête et aucune sanction n’ont été prises. A Mwali, un détenu, visiblement déficient mental a trouvé la mort, et sous couvert des horreurs que lui-même avait fait subir à un policier, la justice et la société a fermé les yeux. Sans parler ici des détenus qui, devant le juge, et sous enregistrement public, ont affirmé avoir subi des tortures de la part des enquêteurs.
Où est la CNDHL
Au vu de tous ses exemples et des suspicions qui pèsent sur ce qui est fait sur les lieux de détention aux Comores, on aurait pu s’attendre à ce que la Commission nationale des Droits de l’Homme et des Libertés s’en émeuve à l’occasion du passage de l’expert de l’ONU et des entraves mises sur le chemin de la délégation pour éviter la visite de tous ces lieux. La présidente de la CNDHL, au contraire n’a de reproches à faire qu’à cette délégation de l’ONU et répond à Masiwa que son organisation est toujours en train d’enquêter, non pas sur les suspicions de tortures, mais sur le départ précipité de Nils Melzer « sans qu’au préalable il yait eu discussions » avec les autorités et elle annonce qu’elle se prononcera sur ce départ après son enquête.
Des conditions de détention déplorables
De la prison de Moroni, on nous rapportait la saleté, les odeurs d’urine, les rongeurs et insectes divers qui cohabitaient avec les hommes. Et des rumeurs que par pudeur certains prisonniers n’osaient pas dénoncer. D’ailleurs toutes les personnalités politiques ou administratives sortant de cette prison gardent le silence sur ce qu’ils ont vécu des mois durant. Ils y sortent pourtant, presque tous, avec des séquelles.
Il y a deux ans le prédicateur Djibrile, avec l’humour qu’on lui connait a révélé au grand public les conditions d’hygiène de la prison de Moroni où les prisonniers ne disposent pas de toilettes et doivent faire leurs besoins devant les co-détenus dans un seau (« faire la moto » selon son expression).
Il y a quelques jours, les journalistes Abdallah Agwaet Oubeidillah Mchangama ont témoigné des mauvaises conditions dans lesquelles vivent les détenus, comme du bétail, sans aucun souci des autorités pour leur survie notamment lors du passage du cyclone Kenneth.
Des enfants en danger permanent
Pire, ils ont appris aux Comoriens qu’un enfant de 16 ans avait été violé à l’intérieur de la prison.Les mêmes journalistes ont rapporté qu’une adolescente est entrée dans cette prison pendant le mois de ramadan et qu’elle vit depuis au milieu d’hommes qui n’ont pas vu de femmes depuis plusieurs mois, voire des années.
Une association de la place rapporte sous le sceau du secret qu’une dizaine d’enfants dont la plupart ont commis des délits mineurs vivent ainsi dans la crasse et les privations, au milieu de tueurs et violeurs qui, pour certains, ont des moyens financiers importants qui leur permettent parfois de sortir illégalement de la prison.
Il convient de s’interroger sur l’état de santé physique et psychologique des personnes qui sortent de cette prison, enfants et adultes. Comment retrouver la société humaine après avoir été réduit à l’état animal pendant si longtemps ? Et cela sans préparation à la sortie et à l’insertion. Comment peut-on espérer une amélioration pour les enfants jetés dans une telle prison, sans soins et sans instruction ? Comment un juge peut-il décider de la détention d’un enfant dans un tel lieu sans se sentir responsable de ce qui va probablement lui arriver à l’intérieur ? Oui, la prison révèle la société dans laquelle nous vivons.
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