Les Comoriens étaient appelés aux urnes ce dimanche 19 janvier pour élire leurs représentants à l’Assemblée nationale. Ces élections se déroulaient, encore une fois, dans une situation de grande tension comme toutes les élections depuis 2016. Par Ali Mbaé
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L’opposition avait appelé au boycott et même à casser les urnes et à empêcher par tous les moyens le vote. Et vendredi soir, en clôture du meeting de ses candidats à Moroni, le chef de l’État, Azali Assoumani avait prévenu qu’il ne fallait pas que certains viennent pleurer à cause de fraudes, car la fraude arrive par la volonté divine. Le décor était posé.
La grande leçon qu’on peut retenir des élections qui se sont tenues aux Comores ce dimanche, c’est que les Comoriens ont boudé les urnes. Ils ne sont pas déplacés pour aller accomplir leur devoir civique. Certains commentateurs politiques ont donc conclu que le boycott prôné depuis plusieurs semaines par l’opposition a été largement suivi par la population, surtout à la Grande-Comore.
Saccage des urnes à Mbeni, l’armée fait l’usage “des balles réelles “
À Moroni, bien que les bureaux ont ouvert très tardivement, l’abstention a atteint des sommets jamais observés, sauf peut-être pendant le référendum de 2018. Très peu de Moroniens se sont déplacés vers les bureaux de vote de la capitale, même si dans certains quartiers comme Badjanani tout s’est déroulé dans le calme du début jusqu’à la fin.
Vers midi lors de notre passage dans la région Hamahamet Mboinkou, les habitants du chef-lieu de cette région, Mbeni, se rendaient peu à peu dans les lieux où se déroulait le vote. Ils s’indignaient en affirmant qu’il ne s’agissait pas d’élections, mais de « nominations ». Deux heures après, une vidéo publiée sur les réseaux sociaux montrait des bulletins jetés au sol et des urnes cassées.
Un membre d’un des bureaux saccagés a témoigné avoir vu les casseurs d’urnes : « Ils se sont présentés et nous ont dit que les élections ne doivent pas avoir lieu. Nous avons tenté de les empêcher en leur expliquant que ce n’est pas juste, mais nous n’avons pas pu. Ils l’ont cassée. Les gendarmes n’étaient pas là ».
Les gendarmes ont récupéré les quatre autres urnes qui n’ont pas été saccagées et ont filé vers le siège de la commission électorale nationale indépendante (CENI). Mais avant cela, des gaz lacrymogènes ont été lancés dans les zones se situant aux alentours des bureaux de vote. Selon la station RTMC, un média proche du pouvoir, l’armée a fait usage de balles réelles.
Les habitants de Mitsamihuli ne sont pas allés voter
« J’en ai marre. Des élections chaque mois qui ne nous apportent rien », nous explique un jeune que nous avons rencontré à quelques mètres de l’entrée d’un bureau de vote. Il était à la plage. Pour lui, il n’y a aucune raison d’aller voter vu qu’au final, les résultats qui seront publiés ne sont pas ceux des urnes : « L’année dernière, nous avons voté. Mais nos choix ont été détournés. À quoi bon perdre son temps ? », s’interrogeait-il.
À 10h 29 min, 38 électeurs sur 943 avaient fait le déplacement aux bureaux Mitsamihuli 3 et 5 sis à l’école primaire mixte de mitsamihuli. « Au-delà de la faible participation, les élections se déroulent normales. Mais ce vote ressemble à celui du référendum de 2018. Les gens ne viennent pas », nous a confié un membre de bureau.
Anjouan, des élections sans perturbations, mais les fraudes sont dénoncées
Anjouan, plusieurs candidats se sont plaints des fraudes, des remplissages d’urnes, des changements de lieu de vote au dernier moment, mais dans l’ensemble le scrutin s’est déroulé dans le calme.
C’est le message qu’ont voulu faire passer deux grands barons du régime qui étaient seuls candidats dans leurs deux régions respectives : Abou Achirafi (Bandrani) et Moustadrane Abdou (Sima). Abdou Achirafi retrouvera ainsi dans deux mois l’immunité parlementaire qui lui permet de ne pas être jugé dans l’affaire des passeports comoriens vendus à l’étranger sous l’ex-président Sambi, si jamais un procès est organisé un jour. Reste à savoir si Moustadrane quitte le gouvernement pour l’Assemblée.
Dès l’ouverture du scrutin, des opérations de fraudes ont contraint un autre poids lourd du gouvernement dans le Nyumakele, Ibrahim Halidi, a se retirer du vote.
À Ouani les gens ont voté nombreux pour permettre la victoire d’un candidat du parti CRC de l’emporter contre le candidat officiel de la CRC, choisi par Moustadrane Abdou.
Irrégularités, tentative de fraude, le ministre de l’Intérieur mis en cause
Les élections législatives se sont transformées en une véritable scène théâtrale dont le plus grand personnage s’avère être le ministre de l’Intérieur et président du parti Orange. Pour la première fois de l’histoire des Comores, des bureaux de vote ont ouvert les portes à 12 heures et ont fermé avant 17 heures. La majorité des bureaux ont ouvert entre 10 heures et 12 heures 30 minutes.
Le président de la Commission électorale communale indépendante (CECI) et membre du parti Orange du ministre de l’Intérieur a voulu modifier les membres de bureau des quartiers Magudju, Coulée, Mtsangani et Hamdombwe, le matin même. Face au tollé des partisans des candidats opposés à celui de son parti, il sera arrêté puis relâché à la demande du procureur de la République.
Le candidat du parti CRC, Aboubacar Mdohoma a accusé directement le ministre de l’Intérieur d’avoir tenté de frauder : « Le ministre en charge des élections entache le déroulement du scrutin. Il veut imposer ses candidats » a-t-il déclaré en se proclamant premier dans les résultats. Il se dit même inquiet pour la suite : « Je devais passer dès le premier tour. Mais l’ouverture tardivement des bureaux de vote due aux intentions de frauder de Mohamed Daoud fait que nous sommes admis au deuxième tour. Ce qu’il a fait aujourd’hui me fait peur ».
Le préfet de la région de Mbude a lui aussi témoigné que Mohamed Daoud avait planifié une fraude : « On nous a soumis des procès-verbaux à remettre aux membres des bureaux de vote », avait déclaré hier dimanche au micro de nos confrères de Hayba FM, en dénonçant une manœuvre de dernière minute du ministre de l’Intérieur, contraire aux instructions de la CENI.
Les accusations contre le ministre de l’Intérieur viennent de partout, des candidats des autres partis qui sont au gouvernement.
« C’est regrettable qu’aujourd’hui, notre pays n’arrive pas à organiser des élections. Ce ne sont pas nos premières élections. C’est de l’amateurisme. Mes militants se sont rendus aux urnes et ont été contraints de retourner chez eux. Jusqu’à 9 heures, les bureaux n’étaient pas opérationnels “, regrette Mohamed Ahamada, le candidat du parti Radhi, du ministre de l’Économie.
L’amateurisme n’a pas seulement été à l’œuvre le matin de l’élection. Les procès-verbaux de certains bureaux de vote semblaient parfois être rédigés par des enfants. On peut ainsi lire dans certains de ces PV des bureaux de la Coulée, à Moroni : « quatroze » au lieu de « quatorze », « cinq et trois » au lieu de cinquante-trois.
Sur 3614 inscrits dans les 7 bureaux de Coulée, fief du principal parti de l’opposition JUWA, 325 électeurs ont fait le déplacement à cinq minutes du début du dépouillement. Ici comme dans quasiment l’ensemble du pays, le boycott prôné par l’opposition a été suivi. La démonstration d’hier laisse comprendre que l’opposition est largement majoritaire dans l’ensemble du pays.
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