En marge du redéploiement des agents diplomatiques dans les diverses ambassades comoriennes dans le monde, une passe d’armes a eu lieu entre le ministre souef El-Amine et l’Ambassadeur des Comores à Paris, Soulaimane Mohamed Ahmed par courriers interposés. Par Mahmoud Ibrahime
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En ce qui concerne l’Ambassade des Comores en France, le ministère des Affaires étrangères a décidé de rappeler cinq personnes, toutes nommées par les ministres précédents : Mme Syttie Mariama Aboubacar Boinariziki, M. Youssouf Mohamed, M. Said Omar Badaoui, Mme Echat Abdallah Aboubacar, M. Mohamed Fakihi Abalhassane, M. Makinoudine Zoubert. Une seule parmi eux est fonctionnaire de l’État, tous ont donc plus ou moins bénéficié de soutiens de connaissances au sein du ministère, si ce n’est des ministres des Affaires étrangères précédents ou de proches des gouvernements.

Le rappel de ces cinq personnes a été indiqué à l’Ambassadeur Soulaimana par un courrier officiel du Secrétaire général en date du 20 septembre 2019 (il était destinataire d’un autre courrier moins précis le 10 septembre). Le Secrétaire général ajoute : « … je vous saurais gré des dispositions que vous voudrez bien prendre, pour informer les intéressés de cette décision, et transmettre en urgence auprès du Secrétariat général du Ministère au plus tard le Mercredi 25 Septembre 2019, les documents devant permettre d’engager les procédures requises, en vue de leurs rapatriements… ». Le Secrétaire général du ministère a dû s’y prendre à plusieurs reprises pour avoir les renseignements demandés.
De Grands-Comoriens remplacent des Anjouanais ?
Les informations ont été distillées avec des fake-news dans facebook, le plus souvent par des gens qui sont identifiés depuis longtemps comme des séparatistes. La rhétorique est toujours la même : pour eux, de Grands-Comoriens remplacent des Anjouanais. Le ministère des Affaires étrangères y répond indirectement dans le journal de l’État, Alwatwan, sous la plume d’Abdillah Saandi Kemba, secrétaire de rédaction qui a largement cité une lettre (censée être confidentielle) du ministre « recadrant » l’Ambassadeur. Il est difficile de ne pas penser que l’information a été sortie dans le journal de l’État à dessein.
L’Ambassadeur des Comores à Paris, Soulaimana Mohamed Ahmed a un langage plus châtié que les séparatistes, mais dès la fin du mois d’octobre, alors qu’il donnait l’impression d’accepter les directives de son ministre, il se rebiffe et marque son opposition au rappel surtout des diplomates originaires de sa ville natale, Mutsamudu.
La rédaction de Masiwa a également eu le courrier du ministre des Affaires étrangères en date du 5 novembre que la rédaction d’Alwatwan a largement cité, mais aussi celui de l’Ambassadeur qui date du 2 novembre.
L’Ambassadeur qui est informé des mouvements qui vont avoir lieu dans son ambassade depuis un courrier du Directeur de cabinet, Abdallah Mirghane, depuis le 10 septembre, ne marque son opposition aux mesures prises que le 2 novembre, soit deux mois après. Il avance à ce moment-là cinq arguments dont il est persuadé qu’ils doivent convaincre le ministre d’annuler le rappel des diplomates en fonction à Paris. Bien que dès le début de sa lettre, il assure le ministre de tout son soutien, les arguments qu’il avance montrent qu’il le désavoue et pense qu’il n’a pas pris la bonne décision.
Le plaidoyer de l’opposant
Soulaimana Mohamed Ahmed fait d’abord savoir au ministre que certains employés sont indispensables au fonctionnement de l’Ambassade. Il s’agit de Fahade Mohamed et Makinouddine Zoubert, qui sont chargés de la comptabilité et des relations avec le Quai d’Orsay.
Le deuxième argument est plutôt insultant pour les autres fonctionnaires de l’ambassade qui ne sont pas visés par les mesures envisagées puisque l’Ambassadeur estime que ceux qui sont rappelés sont les plus « assidus » et « qui fournissent les plus gros efforts ». Et il fait semblant de s’interroger : « N’est-ce pas ainsi encourager la fainéantise et récompenser l’incompétence, la non-implication ainsi que les absences répétées ? »
Dans son troisième argument qu’il appelle « le volet social », il rappelle que deux agents ont des enfants avec des maladies chroniques et s’interroge de nouveau : « Le Mirex a-t-il pensé aux agents dont les enfants sont actuellement scolarisés ? »
Mutsamudu d’abord ?
C’est dans le quatrième argument (« l’aspect politique ») que l’Ambassadeur est complètement sorti de son rôle et devient l’homme politique qui ne tient plus compte des intérêts de l’État et prend en compte des affinités politiques. Il affirme au ministre : « ce n’est pas rendre service ni à l’Ambassadeur que je suis, ni au ministre Ahmed Jaffar, tous deux originaires de la ville de Mutsamudu, que de mettre fin, aux fonctions de tous les agents originaires de cette ville, en même temps. » Il aurait donc suffi que le ministre laisse en place des agents originaires de sa ville et tout irait pour le mieux. À se demander si l’Ambassadeur est conscient d’écrire une lettre officielle en laissant entendre qu’on lui doit un service, à lui et à un autre ministre originaire de Mutsamudu, celui de conserver les agents issus de leur ville. Il ne craint même pas que même les Anjouanais puissent s’interroger sur le fait que sur cinq Anjouanais dans l’Ambassade des Comores à Paris, lui y compris, quatre sont de Mutsamudu.
Enfin, l’ambassadeur rappelle au ministre que ce n’est pas le moment d’enlever à l’Ambassade « ses forces vives », juste avant la conférence des bailleurs de fonds censée se tenir les 2-3 décembre.
Par ses arguments et ses fausses interrogations, l’Ambassadeur des Comores à Paris remet en cause les décisions prises par son ministre et validées en conseil des ministres. Il essaie deux mois après son annonce d’arrêter le rappel de certains agents.
Le ministre des Affaires étrangères, Souef El-Amine ne laisse pas passer l’affront et lui répond le 5 novembre d’une manière cinglante.
Une réponse cinglante
Le ministre commence par indiquer qu’il est surpris « par le ton qui [lui] parait comme un plaidoyer anachronique ». Il signifie ainsi dès le début de la lettre que son argumentaire est inutile, car la décision a été prise et appliquée, il ne reste à l’Ambassadeur qu’à l’exécuter. Plus loin, il lui fait comprendre que si les agents n’ont pas pris les dispositions pour retourner à temps à Moroni c’est de sa faute, car le ministère lui avait demandé de les informer depuis plusieurs mois.
Le deuxième argument du ministre consiste à dire que tout fonctionnaire de son ministère est appelé à la mobilité. L’idée est reprise à trois endroits différents dans la lettre. Plus loin, il renforce cette idée par une phrase simple : « Aucune personne, quel qu’en soit le rang, n’est irremplaçable, ni sur le champ politique ni sur le champ administratif ». Donc, aucun agent n’est indispensable. Plus loin encore, il rappelle que le statut des fonctionnaires prévoit « la rotation et la mobilité ».
Et alors que l’Ambassadeur se laissait aller avec le ton de la fraternité, mettant sur un courrier officiel et qui devrait finir, selon toute vraisemblance, dans les archives de la diplomatie comorienne des aspects personnels et politiques, le ministre des Affaires étrangères reste le diplomate et fait appel à plus de professionnalisme de la part de ce dernier : « Ressaisissez-vous, Monsieur l’Ambassadeur, en m’épargnant vos décomptes insulaires, régionaux et villageois ! » Jusqu’à la fin de la lettre, il continue à lui faire la leçon, à lui rappeler son statut de diplomate et à lui montrer qu’il est sorti du cadre diplomatique : « Sachez, Monsieur l’Ambassadeur, que l’héroïsme gratuit, partisan et tendancieux, n’a jamais été un gage pour le bon fonctionnement des services de l’État ».
Et alors que l’Ambassadeur avait fini son courrier par un « Fraternellement », le ministre Souef reste jusqu’à la fin le ministre qui s’adresse à « Monsieur l’Ambassadeur ».
Sous d’autres cieux, un tel désaveu de son ministre de tutelle aurait conduit le diplomate à la démission, et après un tel courrier par lequel le ministre rappelle à un homme qui est Ambassadeur pour la deuxième fois à Paris, les principes de base de la diplomatie et même du service de l’État, on peut s’attendre à ce qu’il soit relevé de ses fonctions dans un court délai. Le temps que les gens oublient les erreurs et ne fassent pas le lien entre cet échange de courrier et le départ de l’Ambassadeur.
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