Moins de trois mois après la nomination de l’ancien secrétaire d’Etat Mohamed Djounaidi Soilih à la tête de la société d’État SONELEC, les Comoriens vivent toujours régulièrement, avec les coupures d’électricité. En plus de la crise sanitaire, la crise énergétique frappe également les trois îles indépendantes des Comores. Une situation qui provoque des pertes économiques considérables et qui plonge l’économie du pays dans le chaos. Pire, le nouveau patron de la boite n’a pas appris des erreurs de celle-ci et a renoué, lui aussi, avec les pratiques qui ont contribué à l’échec de ses prédécesseurs. Par Ali Mbaé
De nouveaux groupes sans appel d’offre
« Parfois même, nous pouvons nous tromper. On prétend avoir des groupes neufs, alors que peut-être ce sont des groupes reconditionnés, mais on n’a pas pris le temps de réfléchir parce que nous voulons agir en urgence » avait déclaré le nouveau patron lors de sa première conférence de presse, en faisant référence aux 7 groupes électrogènes achetés l’année dernière à hauteur de 7 milliards sans appel d’offre et qui n’ont pas pu tenir douze mois. Pourtant, il a refait la même chose que son prédécesseur.
Selon un bon de commande dont Masiwa Komor s’est procuré une copie, la SONELEC a passé une commande de deux groupes électrogènes de 750 tours par minute et d’une puissance totale de trois mégawatts chez un distributeur de Caterpillar se trouvant à Madagascar. Les deux groupes sont facturés à hauteur de 500.000 dollars chacun. En rajoutant le prix du fret et l’assurance, le prix de deux groupes s’élève à 1 million de dollars avec « une garantie de douze mois après mise en service, pièces et mains d’œuvre, assistance technique. L’assistance technique assistera les techniciens de la SONOLEC sur le reconditionnement des autres groupes », selon le bon de commande.
Interrogé par nos confrères du journal Al-Watwan sur l’absence d’appel d’offres, Mohamed Soilih Djounaid n’a pas démenti, mais a justifié cet achat par « l’urgence » : « J’ai hérité d’une situation chaotique et la population n’en peut plus d’attendre, les groupes doivent être révisés au plus tard en mars-avril, nous aurons le ramadan. Beaucoup de paramètres ont contribué à prendre cette décision. Ceci concerne bien évidemment un plan d’urgence. Mais pour la suite, tout se fera dans les règles de l’art ». À demi-mot, le directeur de la société étatique a reconnu avoir enfreint les lois qui régissent le code des marchés publics. C’est le cas pour cette société depuis 2016, quand l’ancien Vice-Président, Djaffar Ahmed, soutenu par le gouvernement achetait des moteurs sans appel d’offre et au mépris de la loi anticorruption et en justifiant cet acte par le caractère urgent de la situation. Nous en sommes toujours au même point.
Mohamed Soilih Djounaid se trouvait en France avec un technicien de sa boite le mois dernier pour acquérir des moteurs. Il avait assuré que les deux fournisseurs n’ont pas été abandonnés.
700 millions de pertes chaque jour
Dans les régions lointaines de la capitale, les habitants passent des semaines sans électricité. Ce qui fait reculer l’activité commerciale et économique de certains magasins de vente d’alimentation : « J’ai arrêté de vendre des poulets et de la viande. Je n’ai pas les moyens de m’acheter un groupe électrogène. En début de mois de janvier, j’ai perdu plus 250 mille francs comoriens à cause des problèmes d’électricité. Mes produits étaient pourris et j’étais obligé de les jeter dans des poubelles. Je ne vends que les produits qui ne nécessitent pas d’être congelés. Mes clients sont souvent obligés de se rendre à Mitsamihuli chaque jour pour s’acheter de la viande, du poisson et du poulet. C’est insupportable », reconnaît Mohamed Harib, un commerçant de Vouvouni-Mbude, au nord de la Grande-Comore. Même son de cloche pour Moussa, un propriétaire d’une boutique de vente de viande et de poulets : « J’ai perdu beaucoup d’argent ces derniers mois. Mes activités étaient à l’arrêt, mais aujourd’hui, hamdulillah, grâce à un groupe électrogène acheté en France par mon frère, j’ai repris mon activité. Mais il y a un nouveau fardeau. Il me faut 20 litres d’essence chaque jour. Ce qui m’oblige à revoir mes prix pour compenser ».
Selon un communiqué conjoint signé par les organisations patronales Synaco et Nouvelle Opaco, la crise énergétique cause une perte de 700 millions de francs des Comores par jour : « Le pays perd en moyenne 700 millions par jour de son PIB. Les solutions de rafistolage sont à bannir pour laisser la place à des solutions sérieuses, intelligentes, approuvées également par le personnel de la SONELEC ».
Selon un membre de la direction de l’ex-Mamwe, les deux groupes électrogènes achetés devaient arriver en avion hier dimanche en fin d’après-midi.