Le 27 janvier dernier, pour la deuxième fois, Insa Mohamed dit Bobocha a été ramené de Madagascar dans des conditions que des experts des Droits de l’Homme de l’ONU ont qualifiées d’illégales. Depuis personne n’avait vu cet homme politique comorien, candidat aux élections du gouverneur d’Anjouan en 2019. La présidente de la Commission Nationale des Droits de l’Homme et des Liberté (CNDHL) l’a rencontré au camp militaire de Mde le jeudi 22 avril 2021, en compagnie de trois autres membres de cette institution. Malgré les conditions très difficiles et insolites de la détention, conditions qu’elle décrit elle-même, elle affirme que le prisonnier « bénéficie de conditions carcérales normales ». Par MiB
Le gouvernement comorien accuse Insa Mohamed dit Bobocha d’avoir fait partie d’un groupe qui cherchait à faire exploser une bombe dans l’avion dans lequel embarquait le chef de l’État, Azali Assoumani, le 21 avril 2020. Il a été arrêté le 3 juillet 2020 à Madagascar et transféré à Moroni le 15 juillet. Puis, il avait réussi à s’évader de la prison de Moroni avec 41 autres prisonniers, tandis que les gardiens suivaient avec passion le match de football Comores contre Kenya. Il a été de nouveau arrêté à Madagascar le 13 janvier 2021 et ramené aux Comores le 27 janvier. Le gouvernement a alors décidé de ne plus le remettre dans une prison normale.
Détenu dans une prison secrète et illégale
Le 12 mars dernier, l’avocat de Bobocha, Me Gerard Youssouf dans une vidéo parue dans les réseaux sociaux expliquait qu’il s’était rendu dans toutes les prisons du pays, sans pouvoir localiser son client. Il se demandait s’il était mort ou envoyé dans une prison secrète.
Trois jours plus tard, selon le site internet « ONU-Info », des experts des Droits de l’Homme de l’ONU « demandent aux autorités comoriennes de fournir des preuves de vie, de divulguer le lieu de détention de Bobocha depuis son arrivée dans le pays et de faire preuve d’un engagement total envers le droit international des droits de l’homme. »
La réponse des autorités comoriennes n’a pas tardé à venir. Le porte-parole du gouvernement, Houmed Msaidié a déclaré que Bobocha a été enfermé dans une « prison spéciale », ce qui confirmait la thèse de son avocat sur la « prison secrète ». Alors qu’aux Comores, il n’y a aucune loi, aucun texte juridique qui crée des « prisons spéciales » ou des « prisons secrètes ».
Depuis la mort de major Hakim Saïd , soupçonné lui aussi de préparer un coup d’État, pendant un interrogatoire au camp militaire de Sangani, sur les hauteurs de Mutsamudu (Anjouan), la question de la probable mort de Bobocha était réapparue. Plusieurs personnes dans les réseaux sociaux ont demandé au gouvernement Azali de montrer des signes de vie du détenu. Le mercredi 21 avril, une vidéo a même circulé dans laquelle un pseudo-militaire disait être en fuite et qu’on lui avait demandé de tuer Bobocha. Il affirmait que ce dernier était mort.
Bobocha est bien vivant
C’est dans ce contexte que le 22 avril, SittouRaghadat Mohamed a annoncé dans le journal gouvernemental qu’elle a rendu visite à Bobocha et qu’elle l’avait déjà fait en mars. Elle a confirmé ce fait dans une interview accordée par téléphone à Ortega Live le 24 avril (sur facebook). Chez Alwatwan, elle dit avoir discuté avec le prisonnier pendant deux heures de temps. À Ortega, elle affirme qu’elle s’est entretenue avec lui pendant une heure et demie.
Le moins que l’on puisse dire c’est que ces entretiens de la présidente de la CNDHL confirment les incohérences de cette institution qui affirmait, il n’y a pas si longtemps qu’elle ne pouvait enquêter si elle n’était pas saisie par les victimes.
En effet, Mme Sittou Raghadat Mohamed nous apprend que Bobocha est gardé dans le camp militaire de Mde. Elle note que le prisonnier se plaint de « sa condition d’isolement » et du fait qu’il ne peut recevoir aucune visite ni de sa famille ni de son avocat ni même voir d’autres prisonniers. Elle affirme également qu’il a des soucis de santé et ne peut pas voir un médecin : « Il a seulement (sic) besoin de soins plus poussés, il se sent malade, il m’a fait part de quelques douleurs ». Chez Ortega Live elle ajoute que par rapport au mois de mars, il semble « affaibli »et « souffre des maux de ventre ».
Et aussi incroyable que cela puisse paraitre, malgré tout cela, malgré toutes ces entorses aux lois et à l’humanité, en plein mois de ramadan, Mme SittouRaghdatMohamed affirme sans hésiter que Bobocha : « bénéficie des conditions carcérales normales ». C’est aussi par deux phrases lapidaires (quatre lignes) du même tenant que la CNDHL avait réglé le sort des deux plus anciens prisonniers politiques du colonel Azali dans son rapport de 2020.
La CNDHL est une couverture pour le régime
Est-ce qu’un emprisonnement dans un camp militaire peut-être normal ? Est-ce que priver un prisonnier de tout contact et surtout de la visite de sa famille est normal ? Est-ce qu’empêcher un prisonnier, quel que soit le crime commis, de voir son avocat est une situation normale ? Est-ce qu’empêcher un prisonnier malade de voir un médecin est une situation normale ?
Les paroles de Mme Sittou sont tellement incroyables que plusieurs internautes ont émis des doutes sur sa visite à Bobocha. L’avocat Saïd Larifou, lui-même, doute : « je ne peux sérieusement croire Madame Sittou. Cette femme ferme ses yeux sur les atrocités commises par le colonel azali. Elle sert d’autres intérêts et non le Droits de l’homme ni la dignité des hommes et femmes humiliés, séquestrés et persécutés par la dictature. » Pour appuyer, ses dires, Me Larifou rappelle qu’après l’assassinat et l’enterrement sans prières ou lavement du major Hakim, « Madame Sittou s’est conformée aux déclarations de l’équipe du colonel Azali et n’a pas activé les mécanismes et les instruments juridiques internationaux pour alerter et signaler ce crime international. Elle a clairement fait le choix de tolérer l’impunité de tous les crimes, notamment les crimes commis par les militaires agissant sous le commandement du colonel Azali Assoumani ». Pour Me Larifou, la priorité de la visite du prisonnier doit être donné à son avocat qui pourrait réellement dire s’il est en bonne santé ou pas et non à la présidente de la CNDHL qui pour lui est là d’abord pour couvrir le régime en place. Il ajoute : « Bobocha a des avocats et sa défense aux Comores est assurée, avec courage, par Me Girard. Malgré ses démarches auprès des autorités compétentes, son avocat n’a pas été autorisé à le voir depuis son enlèvement et sa séquestration et son transfert supposé au camp militaire de Mde ».
Couvrir le régime, c’est bien l’objectif de la CNDHL, un organisme du gouvernement dont Azali a nommé tous les membres et dont Mme SittouRaghadat Mohamed peine à faire croire que le chef de l’État les a nommés après désignation de leurs corps de métier. Il suffit d’interroger un peu les membres de ces corps de métiers ou d’associations pour comprendre qu’ils n’ont pas été consultés.
On remarquera que le gouvernement avait déjà énoncé la même opinion que Mme Sittou sur les conditions de détention de ce prisonnier particulier : Bobocha bénéficie de bonnes conditions de détention, mais souffre juste de solitude.
Sur la mort atroce du major Hakim au camp de Sangani où il était détenu, elle a eu les mêmes paroles que le porte-parole du gouvernement : nous allons enquêter. Et il est à prévoir qu’il n’y aura pas d’enquête rendue publique ni du côté gouvernemental ni du côté de la CNDHL.