Le village est pour tout Comorien ou presque, la structure de base sur laquelle il aime se replier. Le sociologue dirait que les Comoriens sont foncièrement communautaristes en raison de leur attachement au village, un attachement ancré de génération en génération. [ihc-hide-content ihc_mb_type=”show” ihc_mb_who=”2,3,4,5,6,9″ ihc_mb_template=”1″ ]
Politiquement, c’est à partir du village, surtout s’il a un poids électoral, qu’on peut s’affirmer sur la scène politique. Socialement, on est tous censés se marier au village pour, dit-on, avoir sa place. Mais qu’en est-il de la conception du législateur comorien vis-à-vis du village ? Le législateur a-t-il établi l’existence juridique du village ? Ces questions restent complexes dans la mesure où le droit comorien nous laisse dubitatifs, ou presque.
De la loi fondamentale
La Constitution de l’Union des Comores de 2018 dispose dans le Chapitre V consacré à la commune, plus précisément en son article 109 que : « La commune, comme toute autre collectivité territoriale est créée par la loi ». De là, on pourrait dire que comme la commune est faite de villes et de villages, donc ceux-ci sont aussi créés par la loi et ont la personnalité juridique. Mais ce n’est pas si simple, ce raccourci est sous le brouillard.
De la loi de 2011 sur l’organisation territoriale de l’Union des Comores
La loi n°11-006/AU du 02 mai 2011 portant organisation territoriale des Comores n’a pas évoqué la personnalité juridique du village. D’ailleurs, pour cette loi, la structure de base est la commune et non le village comme le prétendent nombre de Comoriens. « Les collectivités territoriales de base de l’Union des Comores sont les communes dont la dénomination et les limites territoriales sont fixées par la loi après avis des conseils communaux et sous la responsabilité du Gouverneur de l’Ile concernée » (article 8).
En outre, les circonscriptions administratives admises par cette loi sont les circonscriptions insulaires et préfectorales. L’article 3 de cette loi dispose : « Pour exercer leurs missions, les services déconcentrés des administrations civiles de l’Etat sont organisés dans le cadre des circonscriptions administratives suivantes : circonscriptions insulaires et circonscriptions préfectorales ». C’est là que l’oncomprend que le village n’est pas considéré comme une structure administrative en Union des Comores malgré le fait que sans lui, il n’y aurait pas de commune ; en tout cas, pas de commune rurale. Ainsi, il a plutôt une existence de fait répandue par la population elle-même. Dans l’affaire dite Vanamboini contre Colas, l’action intentée par ce village est déclarée irrecevable par le juge pour défaut du droit d’agir. Cette jurisprudence marque une remise en cause énorme de la personnalité morale du fameux village pourtant vanté depuis toujours comme étant une entité dotée de la force publique, à travers la célèbre formule « MDJI SIRIKALI ». En revanche, le législateur semble lui aussi confus, dépassé et tiraillé par l’importance traditionnelle du village dans la société comorienne et le management moderne de l’État.
De la loi N°11-007/AU du 09 Avril 2011, portant organisation du scrutin communal
La loi de 2011 portant organisation du scrutin communal ramène quant à elle, la place traditionnelle du village au-devant de la scène. On peut lire dans son article 24 : « Chaque chef de village, désigné conformément à la tradition de son village, est membre de plein droit du conseil municipal de la commune dont dépend le village concerné. Ces conseillers municipaux disposent des mêmes droits et obligations que les autres membres du conseil municipal ». Au regard de cet article, on peut donc dire que la loi reconnait implicitement la personnalité juridique du village. Si l’homme à sa tête bénéficie d’un tel égard de la part du législateur, on peut donc dire que la loi reconnait son existence. Ceci étant, en l’espace d’une seule année (2011), en un court intervalle, le législateur comorien a produit deux textes connexes sur l’organisation territoriale des Comores sans parvenir à ôter toute confusion sur l’existence légale du village. Au contraire, le Comorien est plus perdu que jamais. Des jeunes continuent à agir en force publique au nom de leur village. N’affirme-t-on pas à qui on veut et partout que c’est à la loi de s’adapter à la société et non à la société de s’adapter à la loi ? La coutume comme source de droit : aurait-elle vocation à s’appliquer ici ? La forte structure sociale du village et l’impact sociopolitique du pouvoir suffisent-ils à faire du village une entité de fait ? Il serait temps que le législateur comorien choisisse son camp. Reconnaitre l’existence juridique du village, ou enlever toute trace de celui-ci qui prêterait à la confusion.
[/ihc-hide-content]
Mounawar Ibrahim, juriste.