Mohamed Ali Mgomri est inspecteur de l’Éducation nationale. Depuis de nombreuses années, il constate la baisse du niveau scolaire à travers les examens. Il analyse et fait des propositions d’amélioration du système à travers cette interview accordée à Masiwa. Propos recueillis par Ali Mbae
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Masiwa – Pourquoi le niveau d’étude des élèves reste faible ?
Mohamed Ali Mgomri(MAM) –Le niveau des élèves reste toujours un objectif du système éducatif. Mais pour que cet objectif soit atteint, il faut une politique, des moyens d’action et du professionnalisme de la part des agents de l’éducation. La faiblesse manifeste au niveau de ces éléments du système entraine la faiblesse du niveau des élèves.
Il est vrai que les 13% de réussite au bac font frémir tout le monde, mais nous ne devons pas oublier que c’est parceque l’éducation concerne tout le monde que ce résultat nous effraie. Cela veut dire que chacun doit contribuer à rehausser le niveau scolaire de nos enfants, car nous avons besoin d’eux pour assurer la continuité sociale. Le système éducatif est la condition de l’émergence du pays. Si l’on construit des routes, des hôpitaux, des réseaux de communication et d’autres investissements pour le développement avec en face une population qui n’est pas éduquée, nous risquons d’assister à leur déconstruction complète et rapide. N’attendons pas les résultats du bac pour crier notre désespoir, jouons notre rôle de partenaire de l’éducation pour tirer la sonnette d’alarme quand il le faut.
Masiwa – Comment faire pour améliorer les résultats ?
MAM –La question parait simple à répondre et pourtant elle est complexe. Améliorer les résultats d’un système c’est intervenir au niveau de tous les éléments qui le composent pour les redynamiser. Il ne s’agit pas uniquement ici de dire qu’il faut mieux enseigner. Il faut bien planifier et administrer la scolarité, l’outiller, former les utilisateurs notamment dans l’application des curricula, dans l’utilisation des manuels, dans la façon de concevoir les outils d’enseignement et d’évaluation, dans le domaine de l’exploitation de l’environnement général des élèves et bien d’autres aspects aussi. Je n’oublie pas la motivation des enseignants et leur utilisation conformément à la loi de la FOP sur le travail.
Masiwa –Les enseignants ont une part de responsabilité dans cet échec ?
MAM –Bien sûr que oui, même si cette responsabilité est indirecte. Enseigner ne s’improvise pas. C’est un métier qui s’apprend. Ce n’est pas parcequ’on sait que le paracétamolcalme certaines douleurs qu’on s’improvise médecin pour le prescrire ou le recommander à un malade. De même, on n’enseigne pas parcequ’on a vu enseigner. On n’enseigne pas parcequ’on se souvient comment le prof faisait quand nous étions à l’école. Il y a des sciences qui sont enseignées aux élèves professeurs pour qu’ils connaissent leurs élèves, qu’ils maîtrisent la pédagogie et la didactique de leur discipline, qu’ils soient imbibés des valeurs déontologiques et éthiques de leur métier avant d’aller sur le terrain et enseigner. Voyez-vous, c’est tout un engagement, c’est un processus de formation, c’est une conscience morale, déontologique et éthique, en somme c’est la culture professionnelle qui conduit à exercer ce métier. Les enseignants le savent lorsqu’ils se présentent devant leurs élèves.
Quand je dis que cette responsabilité est indirecte, c’est que c’est l’état qui doit prendre en charge la formation de ces enseignants. C’est un devoir pour l’état et un droit pour le fonctionnaire enseignant. C’est la formation permanente qui est reconnue comme un droit pour chaque travailleur dans notre loi sur la fonction publique. Alors oui les enseignants ont une responsabilité dans cette situation catastrophique, mais l’État est le principal responsable de cet échec.
Masiwa – Comment sont formés les professeurs avant de venir devant des élèves
MAM –Aux Comores, les maquettes de formation initiale des enseignants comportent une série d’activités de formation comme :
- la formation académique en français, mathématiques, arabe, histoire et géo, sciences…
- La formation aux sciences de l’éducation (pédagogie, psychologie, sociologie, docimologie, éthique, déontologie…)
- la pratique de classe (à travers des stages d’observation et de pratique dans les classes des écoles primaires)
- une étude de cas (rédaction d’un mémoire de recherche-action sur un thème scolaire)
Depuis 1996, nous avons mis en place l’Institut de formation des enseignants et de recherche en éducation (IFERE) qui a pour objectifs la formation professionnelle des enseignants et la recherche en éducation. Depuis 23 ans, cette institution ne s’occupe que de la formation des enseignants du primaire. Aucune activité de formation (initiale et continue) ne concerne les enseignants du secondaire. Quand on sait que ces enseignants du secondaire sont recrutés uniquement sur la base de leur qualification académique, on comprend mieux les difficultés qu’ils ont à poser des actions pédagogiques dans les classes. Le gouvernement vient de proposer une refonte de l’IFERE pour qu’il soit en mesure de prendre en charge la demande en formation (initiale et continue) de toutes les catégories des professionnels exerçants à l’éducation. J’espère que cette réforme verra le jour, car on en a besoin. Il faut former les enseignants de la maternelle jusqu’au lycée, il faut former les agents administratifs de l’éducation et même il faut envisager de former des leaders associatifs pour accompagner les élèves dans le milieu social.
Entre temps, l’IFERE et le CUFOP pourront jouer ce rôle, si les moyens leur sont octroyés.
Masiwa -Quels sont les critères qui permettent de retenir tel ou tel enseignant pour les corrections?
MAM –Un correcteur doit être un spécialiste de la discipline pour le cas du secondaire. Ensuite, il faut que le correcteur ait une parfaite connaissance de la docimologie (la science des évaluations). Il faut qu’il soit d’une moralité irréprochable et pour cela il doit être désigné en commun accord avec son inspecteur qui dispose des éléments professionnels pour juger de sa moralité.
Masiwa –Est-ce que le nombre de copies journalièresobligatoires à corriger ne contribue pas à la faiblesse des notes ?
MAM –Cette question est intéressante en ce sens qu’elle repose sur l’ensemble des étapes de l’examen. Le temps accordé aux élèves pour composer, celui accordé aux personnels engagés dans la saisie des notes et celui consacré aux corrections des épreuves sont-ils suffisants pour faire un travail de qualité ? Assurément non, mais il faut prendre en compte le fait qu’il s’agit d’exigences financières puisque les examens coûtent très cher, de leur préparation à la proclamation des résultats en passant par leur réalisation. S’il n’y avait pas cette exigence financière, j’irais même proposer que les épreuves soient parsemées dans le temps de l’école pour que les élèves ne se sentent pas stressés, que les corrections se passent dans la quiétude et qu’en fin d’année, les résultats soient annoncés sans trop de pression et avec beaucoup de certitude sur les décisions prises.
Masiwa – Le gouvernement a annoncé dernièrement la tenue prochaine des assises de l’éducation nationale, qu’allez-vous proposer ?
MAM –Je pense que les éléments qui doivent faire l’objet d’étude et de débats sont déjà préparés, en tout cas bon nombre d’entre eux. Nous avonsdes études faites sur le diagnostic du système (notamment le RESEN). Nous avons des propositions pour sortir de la crise qui sévit dans notre système éducatif (il y a le PTSE notamment) et puis dernièrement, à l’occasion d’une série d’ateliers de co-construction avec l’AFD des éléments du diagnostic de l’enseignement primaire, du collège et du lycée ont été mis en relief et des solutions ont été proposées. Il faudra alors poser la problématique et verser ces éléments là où ils doivent être. Ensuite, il faut penser à une série de mesures de renforcement du système, notamment :
- le renforcement du cadre réglementaire (nous manquons de beaucoup de textes régissant le système éducatif, notamment dans le recrutement, la GRH, le code déontologique et les droits des uns et des autres).
- La capacité de notre système à s’adapter à son milieu (politique, économique, civique, culturel…)
- La politique du livre en général et des manuels scolaires et autres matériels didactiques en particulier
- Le système de formation, notamment permanente pour assurer la qualité des prestations de services pédagogiques des enseignants, mais également les compétences des chefs d’établissements, les conseillers d’orientation et le personnel administratif
- Notre relation avec nos partenaires en vue de disposer d’une politique de coopération globale et transversale.
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