Dr Abdoul Oubeidillah a longuement étudié le phénomène des inondations dans le sud de Moroni. Faute de pouvoir servir son pays, il vit aux États-Unis où il est Professeur à l’Université du Texas. Il assure des cours et encadrent les étudiants dans leurs recherches. Après avoir obtenu son Doctorat en Génie Civil et Environnemental de l’Université du Tennessee, il a travaillé pour le Ministère de l’Énergie et les Services de Météorologie notamment au sein du centre national de l’eau aux États-Unis où il était responsable de la modélisation hydrologique pour des études concernant l’impact des changements climatiques sur l’énergie hydro-électrique et sur les prévisions hydrologiques. Spécialisé dans les ressources en eau et le climat, il fait partie des 15 membres du conseil consultatif des sciences et technologies de l’Union africaine pour la réduction des risques de catastrophe dans le continent africain. Propos recueillis par Mahmoud Ibrahime
Masiwa – Que pouvez-vous nous apprendre sur les intempéries de ces derniers jours ?
Concernant les évènements de ces derniers jours, les intempéries et les inondations, je ne comprends pas pourquoi tout le monde, autorités et citoyens ordinaires, fait comme si c’est une surprise. Il n’y a rien de surprenant avec, car ils sont devenus une réalité aussi annuelle que les machuhuli les mois d’aout. Chaque année, on diffuse les vidéos d’inondations de différentes magnitudes ici et là dans tout le pays et les autorités viennent prendre des photo-ops, et partent jusqu’au prochain épisode de la série.
Masiwa – Quelles sont les causes de ces inondations ?
On n’a même plus besoin de parler de causes et tout, car je ne pense pas qu’après les inondations de 2012 et d’autres inondations « moins conséquentes », et après plusieurs ateliers et projets, il y a une personne qui ne sait pas que la région de Hambou et Bambao sont des régions à grand risque d’inondations et sont gravement menacées par les intempéries qui subissent des changements liés aux changements climatiques, notamment une augmentation de l’intensité, un dérèglement des saisons, etc. de la pluviométrie. Ajoutez à cela la géomorphologie de la région qui est juste sous les pentes raides du Karthala et on a une bonne recette pour un désastre.
Masiwa – Donc, cela durera toujours ?
- Non, nous ne sommes pas condamnés à vivre cela éternellement. Au fait, ça serait bien si ces rivières pouvaient couler en permanence. Vous savez que les Comores, surtout Ngazidja sont assis sur une bombe à retardement hydrique. Sans Rivière permanente, et une salinisation potentielle des puits d’eau souterraine et avec le dérèglement des pluies, on risque de se retrouver sans eau, donc un endroit invivable. Les autres îles ont encore des rivières permanentes, mais qui tarissent au fil des années donc nous vivons tous dans du temps emprunté. On n’est pas condamné à vivre le désastre, car un aléa, dans ce cas-ci les fortes pluies, ne tournent pas nécessairement au désastre. Un désastre est en fonction de l’aléa, la vulnérabilité, et la préparation. Donc il suffit de mitiger la vulnérabilité et augmenter les préparations et le désastre peut être évité. C’est pour ça que le paradigme a changé de gestion de catastrophe en réduction des risques de catastrophe. C’est mieux de prévenir que guérir. Donc au lieu d’attendre la catastrophe pour la gérer, on agit en amont pour l’empêcher d’arriver. Si on regarde les actions prioritaires du cadre d’action de Sendai 2015-2030 qui a été adopté à la troisième Conférence mondiale des Nations Unies sur la réduction des risques de catastrophe du 14 au 18 mars 2015 à Sendai au Japon, la première de ces quatre actions prioritaires est la compréhension des risques de catastrophe notamment les aléas, la vulnérabilité, l’environnement, les personnes exposées, etc., et dans ce cas-ci, il y a une rivière qui coule avec les intempéries et des fois même sans intempéries au niveau local. Il n’y a rien de plus naturel qu’une rivière qui coule. C’est une source d’eau abondante si on peut en faire usage. Seulement si ça commence à déborder et causer des dommages dans les communautés, il y a un problème. Et quand il y a problème, la première chose à faire avant de trouver une solution, c’est d’essayer de comprendre. Pourquoi les eaux quittent le lit de la rivière ? Est-ce la pluviométrie qui est plus abondante et cause des débits plus élevés que la capacité de convenance ou la débitante du lit de la rivière, est-ce la morphologie de la rivière qui présente des failles et vulnérabilités à certains points du trajet, ou autre chose ? Les solutions ne peuvent être envisagées qu’après avoir compris ce qui cause le problème. Sinon on peut engager des travaux couteux qui à la fin pourraient exacerber le problème ou créer un autre problème. L’expérience de certaines localités a montré que ceci arrive souvent aux Comores où tout le monde est « fundi nadjwa ». D’ailleurs, il y a des levées à certains endroits des rivières, ruisseaux, ou ravines comme vous voulez les appeler, qui se déversent sur Nyumadzaha et pourtant le problème est toujours là.
Masiwa – Que faire alors ?
- Je ne peux pas vraiment dire quoi faire, comme je l’ai bien expliqué. Je ne peux pas dire de construire des levées, élargir ou faire le dragage des lits des ruisseaux, ou une combinaison d’entre eux. J’ai construit quelques simulations très approximatives du milieu à un certain temps avec quelques données que j’avais, juste pour avoir une idée générale de ce qui se passe, mais je manque cruellement de données de terrain qui sont essentielles pour valider les modèles. J’espère que ceux qui sont sur place prennent le temps de faire la collecte des données telles que l’étendue des inondations, la hauteur des eaux, les endroits où il y a les failles, les chemins que se fraient les eaux, etc., car elles sont très importantes.
Masiwa – Quel pourrait-être votre apport pour éviter une catastrophe ?
- Moi, apporter mon soutien ? où, aux Comores ? hahahaha. Est-ce qu’on a besoin de mon apport là-bas? En 2014 quand il y avait des assises sur l’eau et les changements climatiques, j’étais aux Comores et pourtant on ne m’a pas invité. N’y a-t-il pas un compatriote qui a écrit « rentre ou ferme-la » ? hahaha.
Depuis 2009 je n’ai cessé de parler de ces problèmes pour essayer de sensibiliser et susciter quelques actions sur le terrain. On n’a pas besoin d’être au pays pour aider. À l’ère des avancées en télécom, on peut collaborer de partout dans le monde. J’ai géré un projet aux USA pendant 6 mois à partir des Comores.
A l’origine, je suis ingénieur en télécom aux États-Unis. J’ai travaillé dans les technologies au Canada et quelque semaine à ComoresTelecom, quand je suis rentré en 2006. On installait alors le réseau CDMA. Et c’est après avoir constaté les problèmes d’eau, sècheresse et inondations, que je me suis décidé de retourner à l’école encore aux États-Unis, dans le domaine de l’eau et du climat, justement pour pouvoir aider le pays. Les problèmes auxquels nous faisons face au pays doivent concerner tout le monde. Après tout, j’ai de la famille et des biens là-bas. Donc tout le monde, autorités, citoyens ordinaires, médias, etc. doit apporter son aide, car c’est tout le monde qui est à risque que ça soit d’inondations ou de sécheresse. La sécheresse n’est pas aussi spectaculaire que les inondations, c’est un tueur silencieux, mais elle n’est pas moins dévastatrice causant la famine, la malnutrition, des maladies, etc. donc il faut s’y pencher aussi.
Masiwa – Un dernier mot ?
Des fois ce n’est pas le savoir-faire qui manque, mais le vouloir faire. On doit vouloir vraiment faire quelque chose, agir, mais ne pas attendre pour réagir, car ce problème dure très longtemps et ne peut que s’aggraver avec le temps si rien n’est fait. Il faut sensibiliser tout le monde et là, vous les médias, vous devez jouer votre rôle. Changer un peu le disque politique pour alterner un peu avec les problèmes environnementaux et les risques de catastrophes. Sensibilisez, enquêtez sur les multiples projets qui coutent des millions de dollars, mais dont on ne voit aucun résultat sur le terrain, demandez des comptes, poussez les gens à agir même s’ils sont désintéressés, car croyez-moi, on ne veut pas être comme le Titanic, car même si quelques personnes ont eu la chance d’être sauvées, plus des 2/3 ont péri, et ce n’était pas que des pauvres. Quand la catastrophe arrive, elle ne discrimine pas.