De la deuxième guerre mondiale à la privatisation du canal de suez. De l’indépendance des Comores à la chute du mur de Berlin qui a précipité la chute et la dislocation de l’empire soviétique. Des attentats du 11 septembre 2001 à l’émergence de Daech aux révolutions arabes. Son Éminence le Grand mufti Dr Said Toihir Ben Said Maulana Ahly Djmililayli aura traversé 2 siècles si opposés, mais qui se rejoignent sur un point et non le moindre : l’incertitude historique. Par Badraoui
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Revenu au pays en 1965 (après l’avoir quitté vingt ans plus tôt ) pour avoir passé une bonne partie de son enfance et de son adolescence à l’étranger. A Zanzibar où il a fait ses études sous la bienveillance de son oncle Said Moustoipha Djaanfar. Sélectionné parmi une dizaine d’élèves après avoir passé un concours à la muslim academy ( Zanzibar), il partira en Egypte pour finir le lycée et intégrer par la suite la prestigieuse université Azhar Charif d’où il sortira avec un magistère en Droit musulman ( Fiqh ). Arrivé en Egypte au milieu des années 1950 où le Nasserisme était à son apogée ; plus précisément Au Caire, un centre de foisonnement culturel, Said Toihir a appris et côtoyé tout ce que le monde arabe comptait d’intellectuels. Du Dr Muhammad Abdallah Draz à Cheick Muhammad Abou Zahra en passant par Moustoifa Abdou Razeq. Maulana Charif Toihir a connu la grande transformation de l’université Azhar où l’ancienne faculté de charī’ā a été rebaptisée kulliyat al-charī’ā wa-l-qānūn. Un bouleversement dans la méthodologie de l’enseignement du Droit pour mieux prendre en compte et appréhender les changements d’une culture juridique basée sur une vision positive. Toute cette culture de modernité, de transformation et d’innovations ( positive) a contribué à façonner cette vision conciliante qu’un demi-siecle durant, il essaiera d’imprégner sur l’Éducation et la traduction du Coran. Faire en sorte que les versets traduits soit conformes à la réalité du moment : tout un combat. Une conception qui poussera certains à dénoncer en lui un certain clientélisme vis-à-vis des pouvoirs successifs.
Quelques temps après son retour, il entre au lycée de Moroni en tant que professeur de langue Arabe et d’éducation morale. Par la suite, il sera nommé inspecteur pédagogique. Tout au long de sa carrière d’enseignant, il aura vu défiler plusieurs générations qui forment aujourd’hui l’élite du pays le chef de l’État actuel étant une parfaite illustration. Après l’Éducation,il intègre le tribunal de première instance de Moroni en tant que conseiller en Droit islamique, président du conseil des oulémas sous feu Said Mohamed Djohar. Il sera nommé Grand mufti de la République par feu Président Mohamed Taki Abdoulkarim en 1998. Depuis, il a vu passer quatre chefs d’État et d’innombrables gouvernements. Sa longévité dans cette institution est sans commune mesure dans les annales de la République. Avec des hauts et des bas notamment sous le régime Sambi où un sentiment d’isolement à son encontre avait été rependu et fructifié par les apprentis sorciers. Interrogé sur ce point par notre confrère Hachim Saandi de l’Ortc, son éminence avait tenu à clarifier les choses. Selon lui,le président Sambin’avait jamais empiété sur ces travaux ; au contraire il l’a défendu quand des autorités religieuses étaient venus demander son remplacement. Personnalité énigmatique à plusieurs égard, il alimenté la polémique sur ses prises de parole publiques assimilées par certains à une compromission politique surtout à l’égard du président Azali. La préférence et le respect qu’il avait pour ce dernier ont peut-être obstrué sur ces analyses dans le débat public même si, sur le plan religieux, il a été obligé parfois de taper sur la table notamment pour le débat sur l’abolition de la peine de mort. Combattant inlassable pour un islam compatible avec les valeurs culturelles comoriennes, charismatique à son aise ce grand intellectuel a ouvert les champs du possible aux étudiants sortant des universités arabes. Sa culture religieuse, sa connaissance profonde de la sociologie moderne (Weber) et des philosophes antiques ( Aristote), son assurance qui frôlait parfois l’arrogance ont contribué à créer un mythe autour de sa personne que longtemps après sa disparition continuera à revivifier le débat intellectuel. Nationaliste et amoureux de ses racines, il a toujours dénoncé les excès de la culture comorienne sans jamais la renier. Attaché à sa localité de Ntsudjini malgré les soubresauts de la vie et forte opposition ces derniers temps, il prônait toujours le dialogue à la désunion. Dans ces nombreuses prises de parole dans les différentes manifestations religieuses où il a eu à prendre part,il n’omettait jamais de psalmodier des Duā’n pour sa cité. Une fière chandelle que les Ntsudjiniens l’ont bien rendu car dans cette période de semi-confinement, le hasard a fait en sorte que seuls ces derniers ont eu le privilège de l’accompagner dans sa dernière demeure. Figure historique et chercheur infatigable, son plus grand apport reste la traduction du Coran en langue comorienne. Malgré les nombreuses critiques moins flatteuses dont il faisait l’objet, il n’a jamais répondu par l’invective. Quand il haussait le ton, c’était pour mieux trouver un meilleur consensus comme l’a rappelé Dr Abdoulhakim Mohamed Chakir. La disparition du grand mufti est une énorme perte pour les oulémas qui mettront du temps pour trouver pareil savant. Le grand cadi Mohamed Said Athoumane parle d’une extinction de la lumière de la religion et laisse un trou béant dans celle-ci. Une analyse partagée par les Ntsudjiniens qui parlent d’un acharnement du sort vu que quelques mois auparavant, Ntsudjini perdait l’un de ses éminents fils, l’ancien ministre Ali Bazi Selim comme l’a rappelé Mohamed Ahamada Okocha un jeune cadre de la place.
Après cette disparition, s’ouvre une période d’incertitude au niveau de sa succession : qui, quand, comment ? Des questions qui restent pour l’instant sans réponse. Eu égard de la constitution en son article 98, c’est le chef de l’État qui nomme par décret le grand mufti. A une dizaine de jour du début de mois de ramadan, la question est persistante. Allons-nous vers une transition comme après la disparition du mufti Said Mohamed Abdourahmane où le président Djohar n’a pas daigné nommer un successeur ? A cette époque, c’est le président du conseil des oulémas qui avait la charge de mener la chose religieuse en l’occurrence le regretté mufti Said Toihir.
C’est avec le coeur triste et les yeux pleins de larmes que nous disons Adieu au grand mufti, que la terre lui soit légère.
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