Après l’admission des Comores à l’ONU, le chef de l’Etat, prince Said Mohamed Jaffar s’est exprimé à la tribune de l’ONU pour affirmer l’unité de son pays. Voici son discours.
[ihc-hide-content ihc_mb_type=”show” ihc_mb_who=”2,3,4,5,6,9″ ihc_mb_template=”1″ ]
Qu’il me soit permis tout d’abord de vous exprimer, au nom du peuple comorien, notre profonde gratitude pour l’accueil si chaleureux que vous avez réservé à la candidature du jeune État des Comores. Nos remerciements vont tout d’abord aux membres du Conseil de sécurité dont la recommandation favorable et sans équivoque a déterminé le sens de la quasi-unanimité de l’Assemblée générale.
Nous sommes heureux aujourd’hui, devant l’Assemblée, de pouvoir, la tête haute, rappeler les grandes étapes ainsi que les méthodes de notre lutte de libération. Conscients aussi bien de nos insuffisances matérielles de tous ordres, des dimensions réduites de notre territoire que des problèmes liés à sa position géographique, le peuple comorien a choisi de se libérer de la domination coloniale en usant uniquement de moyens pacifiques basés sur la persuasion et le dialogue avec la Puissance administrante.
Alors qu’il était question d’indépendance depuis le début des années 60, l’étape déterminante a été le vote d’une résolution par laquelle, le 22 décembre 1972, le peuple comorien, à travers ses élus, s’est solennellement engagé dans la voie de l’indépendance, dans l’unité nationale et l’intégrité territoriale des Comores.
Le processus ainsi engagé a abouti aux accords du 15 juin 1973 en vertu desquels la France, officiellement, a reconnu la vocation des Comores, une et indivisible, à l’indépendance.
Le référendum du 22 décembre 1974, par son « oui » massif 95% en faveur de l’indépendance, avec une participation électorale de 93% a été la consécration de cette volonté inaltérable de libération et d’émancipation du peuple comorien. À l’intérieur, cette action vis-à-vis de la Puissance administrante a été facilitée par l’appui efficace d’un grand nombre de pays dont, notamment, ceux de nos frères d’Afrique, du monde islamique et de tous les pays épris de paix et de liberté. L’OUA, par son Comité de libération et le groupe africain au sein de cette assemblée, l’ONU, par son Comité spécial de décolonisation, se sont déployés pour sensibiliser l’opinion internationale quant à la menace qui pèse sur l’intégrité de notre territoire national, tout en gardant la sérénité nécessaire pour saluer à chaque étape de notre cheminement vers l’indépendance, les efforts accomplis par les parties intéressées.
Comment le peuple comorien, devant une telle solidarité, une telle mobilisation, pourrait-il rester insensible ? Et pourtant, malgré tous ces appuis, nous nous présentons seuls devant vous ! Le Conseil exécutif’ national a demandé à la France de parrainer la candidature des Comores à l’ONU, comme il est d’usage. Celle-ci n’a pas cru devoir répondre favorablement à notre appel. Est-ce le destin qui a voulu que l’affaire des Comores soit toujours entourée d’énigmes ? Allah l’omniscient est seul capable d’y répondre.
Les regrets que nous éprouvons devant cette attitude sont d’autant plus grands qu’au cours de la période très courte qui a couru du 22 décembre 1972 jusqu’au 6 juillet 1975, en passant par le référendum d’autodétermination du 22 décembre 1974, la France a conditionné l’indépendance des Comores à l’accomplissement de certains délais, à de nouvelles exigences, qui ne pouvaient qu’encourager la partition de notre pays.
La déclaration unilatérale de l’indépendance du 6 juillet 1975 n’est pas un acte de défi lancé contre la France; c’est plutôt l’expression de notre volonté et de notre détermination face aux manœuvres de certains milieux, au sein de la République française, qui restent, malgré le courant irrésistible de l’histoire, attachés désespérément aux délices de la colonisation.
L’indépendance des Comores ainsi que l’admission de notre pays au sein de l’organisation s’appliquent bien entendu à l’ensemble de notre territoire national. Cette position découle des principes de la Charte des Nations Unies. Elle a été réaffirmée par la résolution 1514 (XV) de décembre 1960.
Pour ce qui est des Comores, les résolutions 3161 (XXVIII) et 3291 (XXIX) de l’Assemblée générale, de même que les déclarations du Gouvernement français du 26 août et du 24 octobre 1974, sont catégoriques.
Or, depuis que nous nous sommes déclarés indépendants, l’ex-puissance administrante a installé sur une partie de notre territoire une administration directe. Celle-ci échappe à l’autorité légitime de notre gouvernement et méconnaît, premièrement, notre souveraineté et, deuxièmement, les acquis du Statut de l’autonomie interne.
Les pourparlers engagés par les Gouvernements comorien et français durant la première quinzaine du mois d’octobre dernier sur le transfert des pouvoirs pour l’ensemble de notre pays ont dû être suspendus, par suite d’un désaccord fondamental sur le caractère sacré et non négociable de notre intégrité territoriale et sur le principe de la non-ingérence dans les affaires intérieures des deux États souverains.
Depuis cette date, nous assistons, dans notre pays, à un drame politique et humain extrêmement grave. Nous voyons, d’un côté les instances dirigeantes de l’ex-puissance administrante s’efforcer de briser notre unité nationale par des procédés dits institutionnels, mais étrangers et inapplicables à notre jeune État souverain. De l’autre côté, des bandes de fanatiques détruisent systématiquement des villages entiers et organisent la déportation massive d’une population pacifique et sans protection avec la complicité passive et active de la gendarmerie française, de la Légion étrangère et des fusilleurs marins français.
Nous laissons à l’Assemblé le soin d’apprécier la gravité de cette situation en souhaitant du fond du cœur qu’ensemble, avec toutes les parties intéressées, nous trouvions une solution juste équitable et appropriée.
Les Comores sont un ensemble de quatre situées dans l’océan Indien à l’entrée de canal de Mozambique, nous occupons une position privilégiée, mais difficile sur la route du pétrole. Alors que l’océan Indien était resté une zone de paix, nous nous inquiétons, à juste titre, de tous les indices qui montrent que cette région du monde est en train de devenir une zone d’affrontement.
Avec 300 000 habitants répartis sur 2 235 kilomètres carrés, l’archipel est un pays aux dimensions réduites. C’est aussi un pays sous-développé. La situation économique et sociale, dramatique nous pose beaucoup de problèmes. Tout cela fait que nous sommes un pays vulnérable. Mais, c’est justement cette situation de faiblesse qui fait que notre volonté de coopération internationale est forte et authentique. Et c’est parce que nous sommes un pays pacifique que nous préférerons toujours, lorsque cela sera possible, la solution supranationale. C’est ainsi que nous adhérons sans réserve à toutes les dispositions de la Charte qui prévoit le règlement pacifique des conflits et le développement du respect du droit international.
Pays du tiers monde, nous comptons beaucoup sur l’ONU et, à la mesure de nos moyens, nous travaillerons pour lui donner les possibilités de répondre à nos espoirs. L’ONU peut et doit sauvegarder la souveraineté des petits Etats, L’ONU peut et doit créer toutes les conditions juridiques et pratique d’une solidarité entre les États. L’ONU peut et doit permettre d’humaniser les rapports entre les peuples du monde. Et, enfin, l’ONU peut et doit faire admettre un nouvel ordre économique international fondé sur la justice, l’égalité et le droit au bien-être.
La France s’est résolument engagée dans la décolonisation dès le début des années 60. Bien souvent, elle s’est posée en défenseur du tiers monde, récusant toute politique d’hégémonie, contestant un ordre économique et financier injuste. Cela, nous n’avons pas voulu l’oublier et nous pensons que la France, fidèle à son idéal de liberté, à ses traditions démocratiques, respectera la volonté massivement exprimée par le peuple comorien le 22 décembre 1974. C’est la seule attitude qui soit digne d’elle et la seule qui soit conforme au désir d’amitié et de coopération maintes fois exprimé par nos deux peuples.
Je voudrais, avant de terminer, présenter toutes les félicitations de mon pays au Président de l’Assemblée générale pour son élection à la tête de l’Assemblée. Je suis persuadé que, sous sa haute et sage direction, les travaux de l’Assemblée seront couronnés de succès.
Pour bien marquer notre foi en l’Organisation, mon pays a décidé d’adopter comme jour de fête nationale la date d’aujourd’hui — date de notre admission en tant qu’État, uni et souverain, Membre de l’ONU.
[/ihc-hide-content]