Tout le monde connaît Rosa Parks, connu aussi sous le nom de «mère du mouvement des droits civiques”, la grande figure de la lutte contre la ségrégation raciale aux Etats-unis. C’est en refusant de céder son siège à un passager blanc dans un autobus le 01 décembre 1955 qu’elle devint populaire.
Mais là je vais vous parler d’un visage et d’un nom que peu de gens connaissent mais qui pourtant a joué un rôle majeur dans la lutte pour les droits civiques en Amérique. Il s’agit de Claudette Colvin. Cette jeune fille qui avait osé dire «NON» 9 mois avant Rosa Parks. En octobre ce fut le tour de Mary Louise Smith de répéter la même action. Cette année-là Rosa ne fut que la 3e personne à refuser de céder son siège à un blanc, mais l’histoire ne retiendra que son nom.
L’histoire se passe à Montgomery, une ville de l’Alabama aux États-Unis le 02 mars 1955, en pleine ségrégation raciale. Dans les bus les places avant étaient réservées aux blancs, les places arrière, aux noirs. Lorsque la section réservée aux blancs était pleine, les noirs assis dans les rangées suivantes devaient céder leur place et ainsi de suite.
L’achat de ticket se faisait à l’avant du bus, ensuite les noirs devaient descendre du bus et remonter depuis la porte arrière. Il était interdit de passer dans la section réservée aux blancs. Et des fois le chauffeur démarrait avant même que le client soit remonté dans le bus.
Claudette Colvin jeune afro-américaine de 15 ans était au secondaire et empruntait chaque jour le bus pour se rendre à l’école. Le mercredi 02 mars 1955, elle monta dans le bus au retour de l’école avec ses camarades de classe. Comme de coutume, ils s’assirent à l’arrière du bus. Le bus devint de plus en plus encombré, alors le chauffeur demanda la place pour une femme blanche qui se tenait debout. Il fallait que toute la rangée soit libérée pour que la dame n’ait pas à s’asseoir à coté d’une personne de couleur. Trois de ses camarades cédèrent leur place. Claudette refusa de céder la sienne, jugeant qu’il était injuste de libérer 4 places pour une seule personne. Elle se sentait dans son droit n’ayant pas siégé sur les places réservées aux blancs. Elle dira plus tard que ce jour là elle sentit Hariett Tubman (militante en faveur de l’abolition de l’esclavage) et Sojourney Truth (une abolitionniste et défenseure du mouvement des droits des femmes) lui donner de la force et la retenir de ne pas bouger de son siège.
À l’arrêt suivant, un agent de la circulation monta et lui demanda pourquoi elle ne laissait pas son siège, elle répondit «j’ai payé mon ticket, c’est mon droit constitutionnel». L’agent dit au conducteur qu’il n’avait aucune compétence et est parti. Deux policiers arrivèrent et lui reposèrent la même question, elle donna la même repose mais en devenant plus provocante. Elle fut violentée et arrêtée par les 2 policiers. Elle passa 3 heures en prison. Elle fut accusée de violation des lois sur l’isolement, d’inconduite et d’avoir résisté à une arrestation.
La communauté afro-américaine l’a soutenue, Martin Luther King en personne est venu à Montgomery pour lutter contre son arrestation. Elle était membre du conseil de jeunesse de la National Association for the Advancement of Colored People (association nationale pour la promotion des gens de couleurs) NAACP, dont Rosa Parks était la secrétaire. Le leader de l’association promit de l’aider. La communauté se mobilisa pour collecter de l’argent et payer sa défense.
D’autres personnes avant Claudette avaient violé le code de la ségrégation mais elle fut la PREMIÈRE à plaider non coupable et à poursuivre l’État en justice.
Elle dira plus tard: «Quand j’étais adolescent, je n’arrêtais pas de penser, pourquoi les adultes ici ne disent-ils pas quelque chose? Dites-le pour qu’ils sachent que nous n’acceptons pas la ségrégation. Je savais alors et je sais maintenant que, en matière de justice, il n’y a pas de moyen facile de l’obtenir. Vous ne pouvez pas la prendre. Vous devez prendre position et dire : “Ce n’est pas bien”. Et j’ai fait»
On commença à la voir comme un visage potentiel du mouvement car tous les leaders attendaient que se présente une telle occasion pour défier la ségrégation dans les bus. Le révérend Johnson lui avoua: «Tout le monde prie pour la liberté. Nous avons tous prié et prié. Mais vous êtes différents – vous voulez votre réponse le lendemain matin. Et je pense que vous venez d’apporter la révolution à Montgomery».
Seulement peu de temps après elle tomba enceinte hors mariage d’un homme dont elle ne révélera pas le nom. Les leaders du mouvement qui la jugeaient déjà très jeune pour un tel combat, l’ont écartée pensant que cette transgression allait discréditer leur combat; à savoir le boycottage des bus qu’ils planifiaient de mettre en place.
Neuf mois après son geste, Rosa Parks décida à son tour de résister à la ségrégation. Elle était adulte, avait un emploi, et une apparence de classe moyenne, une image qui correspondait mieux au profil que recherchaient les leaders. Ce qui a permis le lancement du mouvement de boycott des bus le 05 décembre 1955, jour de son procès. Ce mouvement avait pour revendication «que noirs et blancs puissent s’asseoir où ils veulent, que les chauffeurs soient plus courtois et que des noirs soient employés comme chauffeur». Il durera 381 jours.
Quant à Claudette, elle fut sollicitée ainsi que 3 autres jeunes femmes dont Mary Louise Smith, par les dirigeants de la NACCP pour se rendre comme plaignante à la cour suprême en 1956. Elles ont contesté la constitutionnalité des autobus. C’est ainsi qu’en novembre 1956 la cour statue par l’arrêt Browder v. Gayleet décida que la ségrégation dans les bus était anticonstitutionnelle et une violation du quatorzième amendement. Ce fut une grande victoire pour les droits civils.
Claudette n’arrivait pas à trouver d’emploi à Montgomery, elle dira elle-même avoir été ostracisé par sa communauté. Encore une autre forme de discrimination qu’elle a eu à subir, sauf que cette fois fois, elle venait de sa propre communauté. Elle quitta donc la ville et s’installa à New York où elle exerça le métier d’infirmière durant 30 ans.
Bien que l’histoire a préféré l’ignorer et mettre en avant Rosa Parks, il est de notre devoir de saluer son geste courageux et brave, surtout venant d’une jeune fille de son âge (Rosa Parks avait 42 ans au moment des faits). D’ailleurs certains disent que l’acte de Rosa Parks était prémédité, et qu’elle a juste imité Claudette, bien qu’elle ait toujours prétendu le contraire.
Par ce petit récit je tiens à rappeler le rôle central des femmes, à l’origine de tout mouvement de grande ampleur. Elles interviennent dans de petits évènements marquants qui sont souvent négligés, minimisés, ou même dissimulés par l’histoire. Et bien ce fut le cas de l’acte de Claudette Colvin qui mérite d’occuper une plus grande place dans l’histoire du mouvement des droits civiques. Elle dira elle-même «Je suis fière de ce que j’ai fait. Je pense que ce que j’ai fait a été une étincelle et que cela a pris».
Longtemps après le révérend Joseph Rembert a déclaré : « Si personne n’a rien fait pour Claudette Colvin dans le passé, pourquoi ne ferions-nous pas quelque chose pour elle maintenant ? C’est ainsi qu’en 2017, le 2 mars a été nommé Claudette Colvin day à Montgomery, en Alabama.
Par Arfane Abdou Salim