Dans un État de droit, dans un pays digne de ce nom, et dans un processus de liberté que ce dernier incarne, la justice est le grand pilier du quotidien des citoyens. C’est le troisième pouvoir.
Les pouvoirs parlementaire et exécutif sont derrière, dans les priorités du citoyen. Depuis, plus de deux décennies, la justice comorienne est quasi inexistante. Souffrant de tous les maux, ces sept dernières années, le « quasi » a laissé la place à « l’inexistant ». Devenue un carrefour acerbe et onéreux, la justice comorienne a perdu son rythme et son visage normal. Et pourtant, elle est bourrée de têtes bien remplies, donc formées en matière de droit. Soit un procès révoltant, soit aucun procès du tout.
Prenons l’exemple de deux procès parmi les plus spectaculaires de ces deux dernières décennies. Le procès qui s’est déroulé les 14 et le 17 décembre 2018, dont le fond a été dominé par l’affaire des coupeurs de main du gendarme Ali Radjabou et celui du 21 novembre 2022, baptisé procès de « haute trahison ». Deux procès au cours desquels, le manque d’équité y était plus que visible. Des peines sorties du fond putréfié du ressentiment et de la vendetta. Il suffit d’être opposant, de dire que ça ne va mal, ou être proche d’un opposant pour que le ciel vous tombe dessus.
La justice crachée dessus par les siens
Une justice ne pourrait être autre que biscornue, si elle est détenue par le chef suprême. Et c’est le cas de la justice comorienne. Cela la rend vaine.
Lorsque l’ancien ministre de l’Intérieur du régime en place, et ministre en exercice au moment des faits, Mohamed Daoud Kiki, confirmait : « Nous n’avons pas de pays… », cela traduit tout. Quand on entend le capitaine Soilahoudine Soidik, un des chefs du Renseignement intimider Nazra Said Hassan en ventant ses forces, sa compétence et en confirmant la corruption et l’illégalité au sein de la justice comorienne, sans que cette justice ne réagisse, ni elle, ni son ministre de tutelle, cela confirme les rumeurs.
Combien d’affaires transitant en dessous des tables dans cette justice ? Ali Radjabou, le gendarme dont la main a été coupée le 30 juillet 2018 a été sans doute sacrifié. Le président du syndicat des journalistes, Ali Abdou, le journaliste Nakidine Hassane, le feu Hassani Mnémoi, l’ancien ministre Bakar Mdahoma, l’officier Hakim Said Bapalé, les jeunes Ayman, Hamada Gazon, la petite Faïna, Mmadi Msaidié, Mme Bicharifa, Mme Moina Halima et tant d’autres… les uns ont été tués, les autres sont morts mystérieusement, mais aucune suite n’a été réservée ni aux plaintes ni aux demandes d’enquêtes. Bien sûr, certains coupables dans ces affaires sont connus. Mais, l’inertie de la justice est l’une des nouvelles règles de celle-ci. Quand la toge a la peur du chef suprême. Et si l’on conseille de lire « Le dernier mort de Mitterrand » ?
« Transhumance de la justice comorienne »
À chaque fois qu’un ministre ou un procureur, s’expliquent sur une affaire de meurtre ou d’une mort obscure, l’opinion n’a droit qu’au dindon de la farce de ces derniers. Ces hommes et femmes sont morts. Seules leurs familles sont perdantes et larguées par la justice. Le mardi 21 novembre 2023, le jeune Fahad Moindze, originaire d’Irohe-Washili a été mortellement blessé à balle réelle par un militaire en exercice aux abords du stade Maluzini, lors du match Comores-Ghana. La justice ne s’est aucunement prononcée quant à l’utilisation de l’arme à feu contre un civil inoffensif. Comme susmentionné, la justice comorienne regorge d’élites et même de magistrats formés dans de hautes écoles à l’extérieur, une grande partie d’entre eux sont des jeunes.
Et là, on assiste à l’extirpation de cette justice. Il fut un temps, le soleil brillait dans ce domaine. C’est l’époque des gens à niveau moyen, mais convaincus de parfaire leur tâche avec noblesse. Il s’agissait donc de Salim Abdourazak, ancien procureur de la république, d’Abdou Rakib, d’Ahmed Halidi… pour ne citer que ces deux hommes. Ces anciens, qui n’ont pas fait d’études poussées en droit, ont pu avec sagesse et honnêteté gérer la justice et l’ont rendue quasiment juste. Quasiment juste, car comme tout être humain, ils n’ont pas été parfaits. L’affaire Hamada Sabiti et compagnie, tueurs de Saïd Bacar, celles de Said Rafik qui a violé et tué un petit garçon à Moroni, de Robin qui a assassiné des hommes, de Papvale qui a étranglé une femme à cause d’un régime de bananes, de Taoufik Youssouf, tueur de Mme Fahamwe… toutes ces affaires ont été jugées et même des exécutions ont eu lieu. Cette fois-ci, la flemme et la fortune deviennent les moteurs. À Dieu, justice comorienne.
Said Yassine Said Ahmed, Auvergne-Rhône-Alpes