Des précurseurs
Pour tous les Comoriens, Ahmed Abdallah reste le visage de l’indépendance des Comores. Pourtant, en tant que sénateur français, sa critique du système colonial était très tardive. Pendant près de 15 ans, ce sont d’autres groupes et personnalités qui ont porté ce combat pour l’indépendance des Comores. Certains d’entre eux ont payé de leur carrière et par la prison et l’exil leur engagement contre la colonisation.
Par MiB
Ahmed Abdallah Abderemane Président du Conseil de gouvernement a marqué les esprits par sa décision de déclarer la sortie de son pays de la colonisation d’une manière unilatérale le 6 juillet 1975. Cette image de « père de l’indépendance comorienne » n’a jamais été supplantée, en tout cas pas encore, par celle du dictateur qui a régné en s’appuyant sur la violence des mercenaires de 1978 à 1989. Cela est dû au caractère exceptionnel de l’acte du 6 juillet 1975.
En effet, dans l’histoire des décolonisations, les Comores sont le deuxième et dernier pays qui a fait une déclaration unilatérale d’indépendance. Avant les Comores, il y a eu les États-Unis le 4 juillet 1776. Lorsque las des promesses non tenues, des tergiversations du gouvernement français et des humiliations (Valery Giscard d’Estaing refuse de lui parler alors qu’il est à Paris le 4 juillet), Ahmed Abdallah annonce à Jacques Chirac, Premier ministre, qu’il retourne aux Comores et qu’il allait faire une déclaration unilatérale d’indépendance, ce dernier n’y croit pas. L’exécutif français est trop habitué aux bleufs des dirigeants comoriens depuis l’autonomie interne. Et c’est aussi un cas jamais vu par le gouvernement français, habitué à octroyer l’indépendance après référendum. Pour les Comores, il n’y a pas eu de référendum, mais une consultation et depuis décembre 1974, les dirigeants comoriens attendent que l’exécutif français veuille bien traduire le résultat de la consultation en acte politique.
Pas d’indépendance avant le développement économique
Ahmed Abdallah n’a jamais été un combattant pour l’indépendance des Comores sous la colonisation, sinon, deux ou trois ans auparavant. Au contraire, le système colonial lui a permis de s’enrichir, puis de devenir sénateur des Comores en France. Il a défendu aux côtés de Saïd Mohamed Cheikh, de Saïd Ibrahim et Mohamed Ahmed une politique attentiste qui consistait à dire qu’il ne fallait pas prendre l’indépendance tant que le pays n’était pas suffisamment pourvu de cadres techniques et d’infrastructures suffisantes. Une politique qui a été poursuivie de 1945 à 1972.
Le génie d’Ahmed Abdallah est d’avoir perçu avant le prince Saïd Ibrahim, qui était au pouvoir et avant tous les autres compagnons de Saïd Mohamed Cheikh que le vent avait changé de direction. La jeunesse aspirait à d’autres fonctions que celles de servir un autre pays, aussi puissant et aussi riche soit-il. Il a fait l’alliance du parti conservateur de l’Union démocratique des Comores (UDC) avec le parti progressiste de Mouzaoir Abdallah : le Rassemblement démocratique du Peuple comorien (RDPC) qui était, au départ, perçu comme proche de Saïd Ibrahim. Ahmed Abdallah et Mouzaoir Abdallah mettent en place l’UDZIMA (Unité) en septembre 1972, parti dont la base idéologique était l’obtention de l’indépendance sans couper véritablement les liens avec la France. C’est cette convergence entre indépendantistes qui avait permis le renversement du gouvernement de Saïd Ibrahim en juin 1972. L’UDZIMA remporte la victoire aux élections à la Chambre des Députés en décembre 1972 et engage immédiatement les discussions avec la France en vue de l’indépendance. Dès lors, les nouveaux députés n’attendaient que le feu vert des deux leaders pour faire basculer les Comores vers l’indépendance « dans l’amitié et la coopération avec la France ».
L’indépendance immédiate
Avant cette victoire institutionnelle, ceux qu’on appelle les précurseurs, ont exprimé leur malaise après les indépendances africaines (1960) du fait que quasiment tous les pays africains, anglophones ou francophones avaient obtenu leurs indépendances, sauf les Comores. Pendant toute l’autonomie interne, ils tentent de convaincre Saïd Mohamed Cheikh par des lettres ou des échanges directs, en vain.
Parmi ces précurseurs, il y avait l’instituteur Abdou Bakari Boina, dont on sait aujourd’hui qu’il n’est pas le fondateur du Mouvement de Libération nationale des Comores (MOLINACO), mais qu’il a pris le train en marche et l’a amené plus loin que ne l’auraient pensé les fondateurs, presque tous des Comoriens vivant en Tanzanie. Le gouvernement de l’autonomie interne le suspend de ses fonctions. Parmi les fondateurs du MOLINACO, il y a Abdurahman Mohamed Ahmed dit Mkufundi (Portrait, Masiwa n° du 4 octobre 2021)qui décide vers la fin des années 1960 de porter son combat sur le territoire national. Il se retrouvera en prison sous Saïd Mohamed Cheikh à cause de son engagement contre la colonisation.
Même à Mayotte, certains ont des contacts avec le MOLINACO. Souffou Sabili, un des leaders maorais de l’époque, prévient son ami Saïd Mohamed Cheikh qui part à Paris pour une entrevue avec le Général de Gaulle en 1962 que s’il ne revient pas avec l’acceptation de l’indépendance comorienne, il allait monter un mouvement politique contre lui. Ce qu’il fit quand Saïd Mohamed Cheikh est revenu aux Comores sans avoir pu dire clairement au Président français que c’était l’indépendance qu’il voulait.
À Anjouan, de nombreux Comoriens étaient également favorables à une indépendance immédiate. Ils avaient suivi le Parti social-démocrate des Comores, le Parti Jaune ou le RDPC, tous ayant pour objectif d’obtenir l’indépendance des Comores. Au début des années 1960, c’est la figure de Saïd Nabhane Saïd Halidi qui émerge. L’homme avait des fonctions politiques à Madagascar, et une fois que celle-ci a pris son indépendance, il revient dans son pays d’origine. Dans une lettre adressée à Saïd Mohamed Cheikh en 1962, il supplie celui qui est alors le président du Conseil de gouvernement de réclamer l’indépendance des Comores aux autorités françaises. Et il affirme que les Comoriens ont tous les éléments, notamment culturels qui leur permettent d’être indépendants. Il sera dans le Parti social-démocrate qui a été dissous quelques jours après la fondation et dont plusieurs dirigeants sont inquiétés.
Ali Youssouf Alwahti fait partie des dirigeants indépendantistes présents sur la liste du Parti social-démocrate des Comores (PSDC). Il se voit retirer son passeport et Saïd Mohamed Cheikh obtient même qu’il perde sa nationalité française et qu’il soit contraint à partir vers la Tanzanie.
La plupart de ces précurseurs sont aujourd’hui morts et oubliés. La fête de l’indépendance se déroule dans une ambiance telle qu’il est impossible de rappeler la mémoire de ceux qui ont vraiment lutté pour l’indépendance.